Nathalie Mons,
l’ouvrage d’Eric Maurin est une nouvelle contribution essentielle dans
le débat fracassant qui s’ouvre cet automne sur l’avenir de l’Ecole. Il
est une pièce à conviction unique, pour qui souhaite s’outiller contre
la déferlante politico-médiatique qui assène chaque jour l’urgence de
rompre avec le collège unique, la carte scolaire et la démocratisation
de l’accès à l’enseignement supérieur.
Economiste,
Eric Maurin entre dans le débat en synthétisant plusieurs enquêtes,
menées dans plusieurs pays européens, visant à comprendre l’efficacité
des différents systèmes. Il décortique donc méthodiquement plusieurs
décennies de résultats statistiques sur les salaires, les diplômes,
l’accès à l’emploi des différentes générations, dans le but de
comprendre si les réformes de la scolarisation amènent des évolutions
dans la démocratisation, c’est à dire un meilleur accès des enfants des
catégories sociales inférieures à l’emploi, à un salaire correct ou à
un statut social. A toutes les questions, sa réponse est oui.
Premier
résultat, conforme à ce qu’avance Nathalie Mons, ou avant elle marcel
Crahay (L’Ecole peut-elle être juste et efficace, De Boeck), ce sont bien les pays qui ont
maintenu un enseignement scolaire sélectif qui ont les systèmes les
plus inégalitaires
(Allemagne, Grèce, Italie). L’abolition de la sélection, décidée en
Finlande en 1972, se traduit par une diminution de l’inégalité de
revenus que Maurin chiffre à 25%. Cependant, note l’auteur, si les pays
du Nord ont de si bons résultats, c’est aussi parce que leurs sociétés
sont moins inégalitaires, la place de l’Etat protecteur plus forte. Par
comparaison, l’enquête menée en Angleterre (où la polémique bat
également son plein, avec les partisans de la réhabilitation des
grammar school) montre également les bienfaits de l’accès du plus grand
nombre à l’enseignement secondaire, mais les résultats sont à pondérer
du fait de l’accroissement des inégalités sociales et la baisse de
protection sociale des catégories les plus pauvres.
Quelle réalité en France ?
Avant
d’avancer des chiffres sur l’état de la situation en France, Eric
Maurin revient sur un fait essentiel : contrairement à d’autres pays,
l’accès de tous les élèves aux filières du secondaire se réalise sur
une très longue durée (30 ans), sans enquêtes faciles à manipuler sur
le niveau scolaire, ce qui rend ses effets « difficiles à cerner» a
priori. D’où la prépondérance des polémiques, des avis, des choix
idéologiques sur les effets de la réforme. Mais quels sont les faits ?
Avant
la réforme Berthoin (1959), 15% des élèves poursuivent sa scolarité au
lycée. Jusque au début des années 80, plusieurs filières parallèles
subsistent dans les collèges (I, II, III). La réforme Haby (1972) n’est
donc qu’une « forme très inachevée du collège unique ». Cependant, les
réformes des années 60 et 70 ont un effet directement mesurable sur la
qualification : si l’accès au bac augmente peu (10 à 11%), la part de
non-diplômés baisse de 43 à 29%, essentiellement par l’essor des
formations techniques (+8% pour les CAP/BEP), amenant à ces catégories
un meilleur accès à l’emploi et un meilleur salaire (+50% entre la
génération née en 1946 et celle née en 1964 ).
Adepte
des formules choc, E. Maurin calcule donc qu’en « renonçant à une année
de salaire immédiat pour poursuivre ses études, on augmente de 10 à 16%
son salaire futur, tout au long de sa vie active » jusqu’aux
générations nées au début des années 70.
Eric
Maurin ajoute un facteur à ce tableau de la première phase de la
démocratisation : le coût du redoublement. Cette spécificité française,
précise-t-il, augmente de 50% le coût de l’accès au secondaire des
générations nées entre 1946 et 1974.
Malaise chez les profs
Tentant
de trouver une explication au « malaise enseignant », Eric Maurin n’y
va pas par quatre chemins : il est lié au fait que « rien
dans le
passé des enseignants du second degré ne les prépare à ce défi
pédagogique ». Pour lui, les résultats du sondage FSU de 2000
(3/4 des jeunes enseignants estiment irréaliste de demander au collège
d’accueillir et de faire réussir l’intégralité d’une cohorte) sont le
résultat d’une longue « désillusion » du corps enseignant vis à vis du
collège unique, devenu « insupportable » à leurs yeux. Pour E. Maurin,
c’est parce que le système français est le seul dans le monde développé
où les enseignants sont « avant tout des bons élèves de leur discipline
», qui passent le concours avant d’entrer en contact avec le vrai monde
scolaire ou d’être formés, renforcçant ainsi le sentiment de déception,
de déphasage, voir de déclassement à l’entrée dans le métier.
Au
moment où il faudrait « franchir une nouvelle étape de démocratisation
», il déplore donc qu’une « certaine gauche » s’unisse à la droite pour
« revenir sur les acquis » des précédentes étapes. C’est au contaire à
une nouvelle étape de démocratisation qu’il appelle, pour contrer les
effets d’immobilisme engendrés par le coup d’arrêt porté à la
démocratisation à partir des années 80.
Et le chômage des jeunes ?
«
L’Ecole ne prépare pas à l’emploi » entend-on souvent de ceux qui,
prenant ppui sur le chômage des jeunes, voudraient remettre en question
la scolarisation. Or, Maurin constate à l’inverse que la mise en œuvre
de la réforme éducative s’est accompagnée jusque dans les années 90
d’une amélioration des situations professionnelles (postes de cadres
intermédiaires payés plus de 150% du SMIC), à une baisse du chômage des
générations nées dans les années 70 (environ 5 points), jusque ce que
la suspension de l’effort de démocratisation y« coupe court » dans la
dernière décennie. Mais la difficulté pour les jeunes à
trouver
du travail tient plutôt, selon lui, à la « polarisation » de plus en
plus importante, dans laquelles les individus de formation «
intermédiaires » rejoignent de plus en plus le groupe des emplois
déqualifiés, à statut précaire, notamment du fait des gains de
productivité considérables rendus possibles par les technologies et
l’informatique. Pour rendre possible l’accès du plus grand nombre à une
qualification, E. Maurin recommande d’ailleurs de ne pas regarder
seulement l’enseignement supérieur, mais aussi le début des parcours
scolaires des élèves, notamment la maternelle et le primaire,
s’appuyant notamment sur les résultats des expériences qu montrent que
deux ans d’intervention amssive sur les 4-6 ans modifient
condéidérablement le destin scolaire des élèves en difficulté…
Egalité des chances
E.
Maurin en profite pour faire un sort à la notion ambiguë d’égalité des
chances « si chère au grand patronat ou aux tenants de
l’élitisme
». Préférant « la force de l’action publique d’envergure contre les
inégalités de condition de vie entre familles » à la « discrimination
positive », il compare « l’égalité des chances » a des politiques de «
lutte contre les entraves à la libre compétition entre les individus et
à l’expression de leurs talents personnels », et non à « des politiques
visant à améliorer les conditions mêmes de construction des personnes,
de leur avenir et de leur contexte d’apprentissage »(p. 154). En effet,
les économistes identifient des effets étonnants de l’élévation de
qualification : une année supplémentaire dans l’enseignement supérieur
réduit le risque que la mère soit fumeuse au moment de la naissance de
son premier enfant, les états des USA qui augmentent le temps de
scolarisation voient leurs taux de criminalité des populations noires
baisser de 3,5%…
Les diplômes dévalorisés ?
La
dernière partie de l’ouvrage se tourne vers l’université, et E. Maurin
discute fermement la thèse chère à Marie Duru-Bellat (« inflation
scolaire », perte de valeur des diplômes). Le problème, dit-il, est que
« les diplômes d’aujourd’hui n’on rien à voir avec ceux d’hier » : le
groupe des diplômés est moins trié, et pourtant son accession relative
à l’emploi est toujours aussi forte (voir graphique) : plus on est
diplômé, moins on est au chômage, mieux on est payé Une preuve
anecdotique parmi d’autres : la génération née en 1949, qui passa le
bac en 1968, reçue à 80% contre 60 % en 1967 et 1969, est mieux payée
et compte plus de cadres que ceux nés en 1948 et 1950 !
Il
appelle donc à poursuivre le développement de l’accès à l’université.
Conscient des importants problèmes de financement, il souhaite prendre modèle sur
l’exemple australien
: au lieu d’augenter les frais d’inscriptions, c’est a postériori que
les diplômés de l’enseignement supérieur (ou du moins ceux dont les
revenus sont supérieurs à la moyenne) financent l’université par un
impôt spécifique. Selon E. Maurin, ce système, qui ressemble au type de
financement des retraites en France (les actifs financent les
retraités) permet de financer un quart des dépenses de l’enseignement
supérieur en Australie.
En
ces temps où l’opinion prend le pas sur l’analyse précise des chiffres
et des faits, l’ouvrage d’Eric Maurin est un précieux viatique pour qui
souhaite prendre sa place dans les débats en cours sur l’Ecole, sans se
limiter aux idées toutes faites. Exigeant, mais salutaire. « La
nouvelle question scolaire » Eric Maurin, Seuil, Collection Essais
septembre
2007, 250 pages, 18 Euros
ISBN
2020914670