|
||
Dossier spécial
Le point de vue de scientifiques Faut-il revenir, comme le ministre l’exige, aux vieilles méthodes enseignant exclusivement le B-A-BA de manière répétitive et dénuée de sens ? « Certainement pas » répondent les chercheurs. « Sur ce point nous rejoignons largement l’avis du monde enseignant pour dire que les méthodes qui, dans l’état actuel de l’art, semblent optimales, initient l’enfant non seulement au déchiffrage, mais également à la morphologie, à la syntaxe, à la compréhension de textes ayant un sens, ainsi qu’à l’écriture. Simplement, le déchiffrage doit être présent dès le début du CP ». Ce texte vient après la publication par d’autres chercheurs de textes qui critiquent la circulaire ministérielle sur la lecture. On verra par exemple, dans le Café, les articles de R. Goigoux, A. Ouzoulias ou B. Devanne. La particularité de cette contribution c’est qu’elle est signée par cinq chercheurs dont les travaux étaient cités par G. de Robien à l’appui de sa décision. Quelle caution scientifique lui reste-il ? Syllabique : Une obligation injustifiée pour R. Goigoux Il évoque « la grande méconnaissance de la réalité des pratiques pédagogiques » chez le ministre et montre les méfaits de la méthode syllabique pure prônée par G. de Robien. « Dans les méthodes syllabiques, plusieurs mois sont ainsi consacrés à l’étude de phrases simplement juxtaposées, loin des récits de la littérature pour la jeunesse que les élèves avaient l’habitude de travailler à l’école maternelle : tous les verbes sont au présent, on ne trouve pas de connecteurs, peu de substituts nominaux ou pronominaux, etc. L’enseignement de la compréhension, pourtant exigé par les programmes, n’y est pas assuré. De manière plus générale, l’entrée dans la culture de l’écrit (ses oeuvres, ses codes linguistiques et ses pratiques sociales) est délaissée ». Des défauts que l’Inspection générale avait dénoncés en 2004 sous la plume de Jean Hébrard. » Il y a un autre problème dans la méthode Boscher comme dans celles qui lui ressemblent. La question de la compréhension y est laissée à l’abandon. Comprendre un texte écrit est difficile car les textes écrits ne parlent pas du tout comme le langage oral que l’enfant connaît bien. Pour s’en rendre compte, il suffit d’essayer de transcrire un moment de conversation enregistré au magnétophone. Lorsque l’on essaie de le lire, c’est du charabia. L’écrit utilise une autre syntaxe que l’oral, d’autres mots, une autre organisation du langage. L’objectif de l’enseignement de la lecture est de permettre à un élève de comprendre l’écrit en en lisant les mots qui le constituent. Mais lire les mots d’un texte ne suffit pas pour comprendre le texte. Combien d’élèves qui déchiffrent bien, longtemps ne comprennent rien à ce qu’ils lisent ? Ce qui permet à un élève de comprendre ce qu’il lit, c’est sa familiarité avec les livres ». La conférence de Clermont-Ferrand « Je conteste l’approche syllabique stricte, parce qu’elle exclut l’analyse mais aussi parce qu’elle vide les textes de toute signification (Léa sort le cheval, Faro le mord, le cheval a mal, Léo lui parle fort, il file) » affirme Roland Goigoux. « Si on choisit que le O ne fera que le son O, on se prive de tellement de mots que ça donne des textes dérisoires…. Pourtant, les manuels actuels organisent un travail partant de l’oral, font un travail d’analyse phonologique, localisent les phonèmes (« où entend-on OU dans MOUTON ? » et permettent de faire les relations entre ce qu’on entend et ce qu’on voit ». « L’activité de lecture est une vraie activité, qui doit se pratiquer en tant que telle même si on doit aussi pratiquer des exercices spécifiques » estime Michel Fayol. « Mais il ne faut pas oublier que l’activité de lecture fait beaucoup référence aux connaissances antérieures et à la culture… Sur la formation à l’enseignement de la lecture, je pense qu’il faut un minimum de connaissance sur ce qu’est un phonème, comme sur ce qu’est un processus d’apprentissage. Former les maîtres à repérer le niveau de difficulté de ce qu’ils donnent à faire aux élèves, c’est déjà leur donner plus d’efficacité. Si on veut dépassionner les débats, ça vaut la peine de s’interroger sur les aspects sur lesquels on n’a pas de réponse, et plutôt que d’apporter des réponses passionnelles, travailler à développer des travaux empiriques, par exemple sur la place à donner à l’écriture dans l’apprentissage ». Patrick Picard rend compte de cette conférence et des propos des intervenants. Scientifiques et praticiens… Le syndrome de la tortue de Floride (A Ouzoulias) Aujourd’hui, en tout cas, les dégâts créés par ce geste mal inspiré et précipité sont encore réparables. Mais pour éviter que la « méthode syllabique pure » dite aussi « phono-synthétique », ne détruise tous les acquis de notre histoire pédagogique de ces trente dernières années, il faudra vraisemblablement procéder avec les concepts et débats psycho-pédagogiques anglo-américains comme avec la tortue de Floride : en suspendre l’importation, pendant un certain temps du moins, apaiser les parents et les praticiens, puis ne les réintroduire en France qu’avec d’infinies précautions ». Dans un bel article publié par Le Café pédagogique, André Ouzoulias explique pourquoi l’importation de concepts pédagogiques américains sur l’apprentissage de la lecture n’est pas forcément pertinente dans l’espace culturel français. Cela tient à la fois à la langue elle-même et au système scolaire français qui scolarise déjà tous les enfants 3 ans avant le cours préparatoire. B. Devanne ouvre son Journal d’un Grande Section en Zep Sa « Lettre au ministre » l’avait annoncé : Bernard Devanne nous fait partager les progrès et le quotidien d’une classe de Grande Section. Et il met en évidence le fait que la réussite du petit S…, originaire de Mayotte, ou de H…, d’origine syrienne, contredit les idées de G… de Robien. A suivre… Lecture : Les programmes de 2002 menacés Il dénonce » la spirale idéologique dans laquelle s’enferre le ministre sur ce sujet complexe où le souci de faire progresser les élèves dans la maîtrise de la langue devrait l’emporter sur toute autre considération » et « s’inquiète de voir ainsi une démarche politicienne s’insérer dans la définition du contenu des programmes scolaires ». C’est aussi cette intrusion du politique dans un domaine scientifique qui mobilise également de très nombreux chercheurs. Le Snuipp a manifesté également son hostilité. « L’obstination du Ministre sur les méthodes de lecture est inadmissible. Elle finit d’exaspérer les enseignants et peine à masquer le manque de moyens engagés pour l’école primaire. Laisser croire qu’il suffirait d’éradiquer la méthode globale pour un retour exclusif à la méthode syllabique va à l’encontre de l’expérience des enseignants et de l’avis des chercheurs ». Le Snuipp dénonce la volonté ministérielle de réformer les programmes de 2002. Ce point est fixé à l’ordre du jour du Conseil Supérieur de l’Education du 1er mars. « Le SNUipp estime que la question de la lecture et des programmes est trop importante pour faire l’objet de déclarations démagogiques et être instrumentalisée ». Lecture : Un nouvel acte de censure ? Selon l’intersyndicale Fsu – Sud – Unsa de l’IUFM d’Auvergne, « à la demande du cabinet du ministre, le recteur de l’académie de Clermont-Ferrand vient d’exiger que l’IUFM d’Auvergne renonce à son projet d’édition d’un DVD sur l’apprentissage de la lecture ». Le DVD proposait des extraits de conférences de Roland Goigoux et Michel Fayol, deux spécialistes du sujet. Pour l’intersyndicale, « l’interdiction pédagogique qui pèse sur l’IUFM équivaut à exclure de la formation des enseignants tout apport universitaire critique ». Cette nouvelle affaire intervient alors qu’un large consensus s’est fait chez les spécialistes pour condamner la politique ministérielle sur la lecture. Encore récemment pas moins de 6 scientifiques dont les travaux avaient été utilisés par G. de Robien pour se justifier ont marqué, dans le Café, leur désapprobation de la politique ministérielle. Robien ambitionne-t-il la postérité de Lyssenko ? Robien censure l’université ? « Après le karcher dans les banlieues, le karcher dans l’école du 21ème siècle? A l’Ecole Supérieure de l’Education Nationale (établissement de formation des cadres de l’Education Nationale à Poitiers), l’intervention de R.Goigoux prévue la semaine prochaine a été supprimée par le ministre au motif que « son discours est non pertinent ». Deux jours de stage sont supprimés et seront remplacés par un « séminaire officiel ». Les recteurs, inspecteurs d’académie, directeurs d’IUFM sont convoqués à un séminaire national le 9 mars pour entendre la « bonne parole sur le b-a ba », avec de « bons scientifiques », et des instructions à répercuter sur le terrain: séminaires académiques pour les inspecteurs et conseillers pédagogiques, stages à la rentrée pour tous les maîtres de CP. Une seule méthode: au premier trimestre, les lettres et les sons; au second trimestre, des phrases; au troisième des petits textes. Ainsi tout le monde saura ânonner en fin de CP. Pour savoir lire et pour le sens… on verra plus tard… pour ceux qui ont la chance de lire beaucoup et bien hors de l’école. Tout le monde au garde à vous! » Après le discrédit jeté sur les instits, voici que le ministre jette le doute sur le professionnalisme des universitaires. Lecture et autorité à Montpellier Le Recteur entend ainsi « tirer toutes les conséquences » de la circulaire De Robien, « en CP, mais aussi en maternelle et dans l’ensemble de l’école élémentaire », en exigeant l’utilisation exclusive de méthodes « syllabiques ou phono-graphiques ». Ce qui semble aller un peu plus loin que la circulaire ministérielle. Elle demande que « l’apprentissage de la lecture passe par le décodage et l’identification des mots conduisant à leur compréhension », qu’un « entraînement systématique à la relation entre lettres et sons (soit) assuré » et réfute « la mise en mémoire de la photographie de la forme des mots qui caractérise la méthode globale ». Bref elle attend des maîtres qu’ils « écartent résolument ces méthodes qui saturent la mémoire des élèves sans leur donner les moyens d’accéder de manière autonome à la lecture ». Pour critiquable qu »elle soit, sur le fond, même la circulaire du ministre n’ose prétendre mettre à l’index toute autre méthode, au simple motif qu’elle serait « à départ global ». En allant plus loin que la circulaire, le Recteur de Montpellier pourrait prendre le risque de raviver le mouvement revendicatif. Syndicats et organisations pédagogiques engagent une campagne pour la lecture Elles prévoient notamment d’aller au devant des parents d’élèves pour expliquer leur combat et appellent à signer leur pétition.
|
||
