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Entretien avec Serge Pouts-Lajus S P-L- On a souvent l’impression que l’écart est de plus en plus grand entre la réalité de l’insécurité, de la violence ou de la souffrance et le sentiment que l’on en a. Croyez-vous que c’est aussi vrai à l’école ? PM- Oui, cela me semble vrai également à l’école. Cela tient, sans aucun doute, à une conjugaison de facteurs. D’une part, il ne faut pas sous-estimer l’influence des médias qui sont, depuis plusieurs mois (et, en particulier, depuis la dernière campagne présidentielle) une caisse de résonance extraordinaire. D’autre part, les enseignants constituent une profession dont les repères et les certitudes professionnelles ont été mis à rude épreuve ces dernières années ; ils sont donc particulièrement fragiles et ils ont le sentiment d’être agressés, non seulement par leurs élèves, mais aussi par toute la société (les parents, les élus, la télévision). Enfin, la violence à l’école apparaît d’autant plus intolérable que l’école, précisément, a été pensée, dans la grande perspective humaniste, pour lutter contre la violence et installer la paix civile entre des êtres raisonnables. Voir que cette institution est agressée par ceux-là mêmes qu’elle prétend « élever » (les élèves), instruire et libérer a un caractère insupportable bien compréhensible. S P-L- Est-il possible de dresser la liste de toutes les causes importantes (causes externes, causes internes) qui concourent à faire monter le niveau de violence dans les écoles ? Est-on condamné à agir sur tous les fronts ou bien certains sont-ils plus stratégiques que d’autres ? PM- Il n’est pas possible de dresser une liste exhaustive de toutes les causes de la violence à l’école. Certaines sont évidemment externes, en particulier tout ce qui relève des conditions économiques, de la ghettoïsation urbaine, des difficultés sociales et familiales. D’autres sont liées à l’entrée massive dans l’école d’élèves qui, jusque là, n’étaient pas scolarisés. D’autres, enfin, sont proprement pédagogiques et renvoient à la nécessité d’une véritable préparation des élèves aux règles du « vivre ensemble ». De toutes façons, il faut agir, chacun à son niveau, sur les éléments sur lesquels on a un peu d’influence. Sur le plan proprement scolaire, la priorité absolue, à mes yeux, est de mettre en place, le plus tôt possible (dès la maternelle et tout au long de la scolarité) des structures de régulation comme le « conseil d’élèves » où l’on apprend à se parler et à s’écouter, à se donner des règles communes et à les respecter. il faut mettre en place des « rituels » de parole, comme le préconise la « pédagogie institutionnelle » : cela ne sera pas miraculeux, mais je ne vois rien de plus utile et de plus prioritaire. S P-L- Comment situer ou interpréter les incidents cités dans la presse, par exemple, celui du 7 janvier : une prof attaquée au couteau par une élève en plein cours ? Cas isolé ? Révélateur ? Montage ? PM- C’est un fait-divers particulièrement triste et inquiétant. Ceci dit, il se passe des faits-divers de ce type tous les jours ailleurs qu’à l’école et l’on en parle moins… ou pas du tout. Je comprends le caractère scandaleux de ce qui s’est passé. Je partage la réprobation et l’inquiétude. mais je voudrais que cela soit une occasion pour réfléchir sur une vraie politique de prévention. S P-L- Concrètement, comment un enseignant doit-il se comporter pour minimiser les risques de se faire poignarder en classe ? PM- Les risques de se faire poignarder en classe sont quand même très minimes. Malgré ce que croit l’opinion, c’est dans les familles qu’ont lieu l’essentiel des crimes de sang et non dans le rue ou dans l’école. Cependant, si l’on veut donner un conseil « basique » aux jeunes enseignants, ce serait : « N’entrez jamais dans les parties de bras de fer ! Evitez l’affrontement et le face à face mortifère. Ce sont des situations où il y a toujours un perdant, quelqu’un qui est humilié ou blessé. Quand on sent la tension monter, il faut toujours solliciter une médiation, tout faire pour éviter de traiter les questions à chaud et de se laisser aspirer par la violence. Certes, c’est difficile mais on peut y arriver plus facilement avec le soutien d’une équipe. La question de l’honneur semble centrale dans ces histoires de violence scolaire. Le sens très vif de l’honneur chez les adolescents agressifs s’oppose à l’honneur du métier, tout aussi vif, chez l’enseignant français. Les deux sont-ils compatibles et peuvent-ils être sauvés ? L’objectif, c’est de trouver une sortie où les deux protagonistes soient gagnants, où personne ne soit humilié. Je sais bien que c’est très difficile mais on peut, parfois, y arriver dès lors qu’on tente de s’engager ensemble dans une activité commune. La violence s’exacerbe quand rien ne vient lester les relations. Quand on a quelque chose de concret à faire ensemble et que la loi n’est plus perçue comme le caprice de l’adulte, alors on peut espérer retrouver des relations plus saines. S P-L- L’autorité est-elle nécessaire pour enseigner et comment la définir ? PM- L’autorité est évidemment nécessaire pour enseigner. Mais une « autorité qui autorise » : qui autorise le travail en commun et la réussite de chacun, qui autorise des découvertes intellectuelles et permette d’accéder au plaisir d’apprendre. L’autorité n’est pas l’arbitraire. l’autorité ne doit pas être faite pour que l’adulte « ait la paix », mais pour que les élèves apprennent à vivre en paix. S P-L- Le débat sur la violence scolaire camoufle-t-il un débat plus large sur l’intégration scolaire et culturelle ? PM- Oui, à bien des égards. Et, pourtant, il ne faut pas, pour autant, occulter la question de la violence scolaire : il faut en faire une occasion de réintroduire une véritable réflexion pédagogique, de relire Makarenko et Deligny, de reprendre Freinet et Oury. Alors, nous en sortirons plus forts et notre école en sortira renforcée, plus efficace et plus légitime. Les enseignants et les élèves ont tout à y gagner. Philippe Meirieu Entretien : Serge Pouts-Lajus Sur ces thèmes, voir Philippe Meirieu, REPERES POUR UN MONDE SANS REPERES, Editions Desclée de Brouwer, 2002. |
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