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Très présente sur les listes de discussion Internet, la pédagogie de maîtrise à effet vicariant rencontre un succès croissant chez les instits. Michel Monot s’en est fait l’infatigable apôtre. FJ- Michel Monot sans doute faut-il d’abord définir ce qu’est la PMEV ? D’autant que les termes pourraient faire penser à une méthode autoritaire ou comportementale, centrée davantage sur le maître et son autorité que sur l’élève. MM- Effectivement, la connotation du mot « maîtrise » est apparue ambigüe, et c’est un peu la raison pour laquelle la pédagogie dite « de maîtrise » est mal connue en France. On lui a préféré l’expression « pédagogie par objectifs », a priori plus heureuse que la précédente dans la perspective que vous évoquez, mais qui s’est révélée finalement insuffisamment adaptée à l’objectif poursuivi, qui était la réussite de l’élève. Travailler sur les objectifs, les saucissonner en sous-objectifs, les maîtres ont souvent adoré cela. Notre esprit cartésien y trouvait son compte mais au détriment de la réalité pédagogique. De retour en classe, sortis des animations pédagogiques, des commissions de travail ou des réunions d’équipes pédagogiques, le bénéfice était assez décevant. On avait accordé beaucoup d’attention à la matière, mais pas assez aux élèves et à l’acte d’apprentissage, qui est difficile. On avait en outre souvent .escamoté le modèle original : pour apprendre, l’enfant a besoin d’avoir une vue claire de l’objectif à atteindre, avaient bien spécifié les concepteurs. Mais on s’est souvent lancé dans la PPO sans avoir une vue claire des principes mis en œuvre. Pour ce qui concerne la définition, je crois que celle de « PMEV » s’imposait car elle traduisait bien la genèse particulière de nos propositions : (PM) la « pédagogie de maîtrise » proprement dite, dont les équipes suisses avaient affiné la première version américaine; et la version (EV) « à effet vicariant », que nous avons tenté de mettre au point en croisant deux suggestions d’origines totalement différentes. FJ- Et que veut dire « effet vicariant » ? MM- Un apprentissage par prise d’indices, analyse et reproduction, que l’on évoque généralement surtout pour caractériser l’apprentissage animal mais dont l’éminent Professeur Reuchlin avait pressenti l’intérêt pédagogique. Un apprentissage qui fonctionne cependant chez l’être humain et que Bandura a appelé « apprentissage social », ou d’autres encore « socio-constructif par observation » (‘Wynikamen). FJ- Mais n’est-ce pas ce que font tous les enseignants ? MM- Oui, très souvent, mais de façon empirique et, à notre sens, trop limitée. L’enseignant qui fait corriger un exercice au tableau se réfère intuitivement à cette forme d’apprentissage : les élèves qui n’ont pas compris vont progresser en observant le savoir faire d’un élève plus expert. Mais on peut craindre que ce recours soit un peu tardif : nombre d’élèves auront alors perdu du temps à chercher en vain et se seront découragés. Par ailleurs, la nécessité de poursuivre le programme va souvent conduire à embrayer sur un autre chapitre sans que le bénéfice de la correction ait été réellement constructif ni toujours bien réinvesti. Maurice Reuchlin l’avait signalé : la période d’observation permet au sujet de repérer les aspects significatifs de la situation et de faire porter immédiatement ses efforts sur ces aspects. L’apprentissage commence donc pendant cette période d’observation. Toute la PMEV était dans cette remarque, qu’il restait à exploiter de façon rationnelle. Il était bien question d’efforts, de repérage des aspects significatifs d’une situation, et non de copiage, et nous mesurons ici encore le poids des mots. Nous avions eu besoin de ce terme étrange pour mieux comprendre le problème. FJ- C’est que, dans le système éducatif classique le copiage et même l’entraide entre élèves sont pénalisés. On a l’impression que c’est le contraire dans la PMEV. Est ce le cas ? MM- C’est un peu le cas, mais ce n’est pas un pari pris d’originalité, seulement le résultat d’une prise de conscience. L’entraide entre élèves a effectivement longtemps eu mauvaise presse, mais la situation est aujourd’hui différente. La « coopération scolaire » s’est imposée à l’école primaire. Le secondaire a suivi ces traces, qui sont productives, mais qui me paraissent dans les deux cas manquer d’éclairage théorique, notamment de cette référence au concept » vicariant » qui nous a permis de mieux comprendre les processus en jeu. L’apprentissage vicariant, s’il repose sur des prises d’indices, ce n’est pas le copiage, et la distinction doit être soigneusement établie. L’apprentissage vicariant ne supprime pas l’effort et semble même permettre de le décupler en évitant des périodes de tâtonnement qui sont certes potentiellement intéressantes pour quelques uns mais parfois infructueuses et décourageantes pour beaucoup. Notre démarche de repérage d’indices n’est pas si « passive » qu’on pourrait le craindre, et les maîtres s’en rendent vite compte. Nous mettons en œuvre des micro-changements de représentations qui relèvent déjà de l’apprentissage, tant « notionnel » que « méthodologique ». Nous habituons les élèves à s’interroger sur leur conduite, ce qui est une première approche, instinctive, de la métacognition. Qu’on le veuille ou non, la métacognition est en germe dans l’apprentissage vicariant, si « primitif » soit il à l’origine. FJ- Mais alors quel est le rôle du maître ? MM- Il conserve plus que jamais un rôle de « maître », même s’il se fait en première analyse moins « enseignant ». Par définition, l’apprentissage vicariant nécessite une possibilité de prises d’indices. Il faut donc repenser l’organisation de la classe et ménager déjà un temps pour cela, qui à l’évidence est un temps fort. Mais il faut le faire en restant très soucieux des contenus, en conservant une vision globale des problèmes, une vision quasi systémique. En réalité, le maître est donc très présent dans toutes les phases du processus, tant pour définir et garantir les contenus que pour observer et sécuriser les progressions des élèves. Le dispositif caractéristique de la PMEV repose sur un certain nombre de principes assez précis mais qui ne constituent cependant pas un carcan. Les maîtres modulent le dispositif en fonction de leurs besoins et se sentent globalement plus libres. Quelques principes : Le temps dit de « bilan » est évidemment pour l’élève un temps d’entraînement à l’écoute, de gestion de ses représentations, de raisonnement hypothético-déductif, de construction de sens, de développement de l’attention, d’entraînement à la prise de parole contrôlée. Pour le maître, ce temps permet « d’observer et de comprendre ce qui se passe dans les apprentissages », d’évaluer la progression et le cheminement des élèves, d’observer l’évolution des comportements personnels ou « professionnels », de recueillir des indications en vue d’interventions différées ou immédiates. L’autre temps fort du dispositif, consacré au travail individuel, est constamment en prise sur le précédent. L’enfant y exploite les données recueillies en vue des tâches à accomplir, mais ce temps n’est pas seulement un temps assez intensif d’exercices, d’entraînement à la lecture et d’écriture. C’est aussi pour l’élève un temps de gestion de son programme de travail et d’apprentissage de l’autonomie. C’est encore le moment de contacts privilégiés avec le maître, lors du suivi relativement très individualisé exercé par celui-ci. Pour le maître, ce temps n’est donc pas un simple temps de surveillance mais un temps de suivi plus personnalisé, de recueil de données complémentaires, d’interventions parfois très ponctuelles auprès d’un enfant en difficulté remarquée, etc. Le fait que cette « formule » bien définie se révèle aujourd’hui efficace un peu partout peut faire penser aux critères de la vérité « scientifique » : une expérience est « validée » lorsqu’elle est reproductible ailleurs, dans d’autres laboratoires, avec d’autres équipes. Mutatis, mutandis, cela peut s’appliquer à la PMEV et paraître du coup odieusement prétentieux, mais la comparaison n’est pas dénuée de sens. FJ- Comment se déroule un cours ordinaire ? MM- « L’école primaire offre le spectacle ridicule d’un homme qui fait des cours » reprochait le philosophe Alain au siècle dernier. Et il ajoutait : « J’en jugerais à l’oreille. Si le maître se tait et si les enfants lisent, c’est que tout va bien ». Il semble que les IO de 2002 renouent parfois avec cette inspiration, mais je veux revenir un peu en arrière, aux instructions de 1989 sur les cycles, qui marque une étape importante. Cette réforme des cycles serait née dit-on semble-t-il du constat que les classes uniques ou à plusieurs niveaux , malgré une réputation peu flatteuse, ont globalement un meilleur rendement que les classes à un seul niveau. Je ne pense pas que les raisons du bon rendement de ces classes aient été suffisamment décryptées, mais il est certain que la gestion de ces classes particulières conduit à limiter la durée des « cours », ou du moins des « leçons », au bénéfice du travail individuel, d’ou brièveté des leçons. La PMEV n’échappe pas, globalement, à cette réduction quantitative de la durée des « leçons », mais son impact est plutôt d’ordre qualitatif. Assez souvent, du fait d’un mode de fonctionnement particulier, les leçons prennent des allures de mise au point ou de synthèse, sur la base des constats faits par le maître. FJ- Où en est l’implantation de la PMEV en France ? MM- Nous n’avons pas de chiffres mais elle est implantée, c’est sûr, avec quelques possibilités d’évaluation sur la base d’inspections favorables et de CAFIMF passés avec succès. Ceci sans propagande particulière, sans le soutien d’aucun appareil, grâce à Internet. FJ- Est-elle organisée ? MM- Nous n’avons jamais cherché à créer un quelconque « mouvement ». mais seulement à faciliter la diffusion d’une information qui était mal connue et semblait pouvoir rendre service de façon significative tout en restant strictement dans le cadre des instructions officielles. Des collègues ont voulu essayer « pour voir » et j’ai du répondre à quelques questions, ou même beaucoup d’ailleurs, pour préciser tel ou tel point. Ce que nous avions constaté ici se vérifiait ailleurs, et des collègues dynamiques que je n’ai jamais rencontrés ont pris l’initiative de créer une liste de diffusion propre à la PMEV pour ne plus encombrer celle qui nous avait d’abord accueillis; puis un bulletin papier pour les non internautes ; puis plus récemment un forum. FJ- Le rôle des échanges est important dans la PMEV, tout comme la recherche du sens de ce que l’on fait. Les TICE apportent elles une aide, un horizon nouveau a la PMEV ? MM- Nous manquons ici de recul, car nous avons débuté dans un univers à peu près vierge de ce point de vue. Mais pas tout à fait cependant. Il nous est vite apparu que la salle informatique n’était pas la meilleure solution à l’école primaire, qu’un ou deux ordinateurs à disposition des enfants en classe permettait d’intégrer ces outils sans problème au travail commun. Les enfants pouvaient parler au moment du « bilan » de leur travail fait sur ordinateur, comme ils le faisaient pour les autres tâches. FJ- Avec quelles activités ? MM- Toutes les activités d’une classe primaire normale, en particulier dans les disciplines fondamentales pour laisser aux maîtres la possibilité de traiter les autres selon leurs préférences et sans trop changer leurs habitudes . Ce qui est souvent considéré comme nécessaire mais difficile et rébarbatif passe bien en PMEV parce qu’on en parle beaucoup : une certaine familiarité s’installe autour de questions on ne peut plus scolaires, sans recours au « ludique », mais seulement grâce à une communication centrée sur l’apprentissage, dans le cadre d’une organisation de classe particulière mais assez notoirement porteuse.. FJ- Quelle place dans les instructions officielles actuelles ? Nous en sommes à une première lecture de ces textes très récents, mais il nous semble déjà que la formule PMEV, au prix d’un petit interface explicatif, permettra de jouer le jeu des nouveaux textes sans tricher, et même de prévenir certains écueils. FJ- Est ce transposable dans le secondaire ? MM- Oui, mais pas toujours facilement, au prix de quelques aménagements rendus nécessaires par les particularités de l’emploi du temps « secondaire ». Nous avions accueilli dans nos classes primaires calédoniennes, à leur demande, quelques professeurs de maths et d’anglais, venus généralement de petits établissements, qui ont su transposer la formule et en ont été je crois satisfaits. Un très récent mémoire de Licence en Sciences de l’Education présenté devant un jury de Lyon 2 portait précisément sur le travail accompli en anglais, rebaptisé « pédagogie systémique à effet vicariant », ce qui occulte un peu l’héritage « historique » de la PMEV mais la définit très fonctionnellement. Ce mémoire est d’ailleurs disponible. Contacts : |
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