Qui démontre quoi ?
Monsieur le Ministre,
Vous avez déclaré aujourd’hui 10 octobre sur France-Inter : « Oui, le cerveau est fait pour apprendre par é-lé-ments ! C’est-à-dire qu’on apprend par des éléments qui s’appellent les lettres et les sons, et ensuite quand on a les syllabes, on ajoute les syllabes aux syllabes pour faire des mots et ensuite on fait des phrases qui ont un sens« . C’est ce que, dites-vous, « démontrent les travaux des neuro-scientifiques« .
Le « Document d’accompagnement des programmes » récemment publié par votre Ministère (mars 2006), Le langage à l’école maternelle, reproduit page 104, sous le titre « Document 12 – essais d’écriture de textes », les deux écrits suivants d’enfants de grande section (chacun accompagné d’un dessin) éclairés de ces commentaires :
IL LES TE-TUNE FOI UN LOUP QUI RANCONTRE UN COCHON IL LUI DI NEPAPEUR JE SUIS (?) JANTI FIN | Le texte ci-contre révèle un enfant très avancé dans sa compréhension du système alphabétique et dans sa connaissance du code. Il semble très attaché au lien oral/écrit et s’appuie vraisemblablement sur une forme de syllabation systématique de l’oral sans recourir à la copie de mots ; la formule » Il était une fois » aurait en effet pu être copiée dans un album. |
UNE FOYA (?) DEN LA FORE VIVET UN LOUP ET IL LA VET IL A VU UN ENFAN ET DI MIAM JE VET TE MAGET PETITE FIL (?) | Le texte ci-contre est celui d’un enfant également très avancé dans sa conception du code ; il systématise certains éléments (le son /e/ est écrit ET), travaille sur le lien oral/écrit également sans recourir aux mots sûrement vus de nombreuses fois (dans » enfant » par exemple). On notera que dans ces deux essais, l’écriture adoptée est constituée de capitales d’imprimerie. |
En toute rigueur scientifique, ces enfants sont dans l’incapacité absolue d’avoir construit, dès l’école maternelle, ces compétences selon ces procédures (dont il n’échappe à personne qu’elles s’inspirent d’une approche… globale). Allons jusqu’au bout du raisonnement : pour que la vérité scientifique soit enfin reconnue de tous, vous devez vous résoudre à éliminer de l’école maternelle…
– soit de tels enfants,
– soit de telles procédures.
En l’état actuel des pratiques de l’école maternelle, des exemples de cet ordre, évidemment nombreux et répétés année après année, continueront à démontrer l’inverse de la » démonstration » que vous attribuez aux scientifiques.
Bernard Devanne,
Professeur à l’IUFM de Basse-Normandie
Voir également :
B. Devanne : le journal d’une grande section de maternelle. De janvier àmai 2006, Bernard Devanne partage l’apprentissage de la lecure et de l’écriture en grande section de maternelle, dans une école de Zep.
http://cafepedagogique.studio-thil.com/dossiers/contribs/i7l.php
Lecture : Vrai débat et fausses solutions : arguents et contre-arguments, le point sur la question des méthodes d’apprentissage de la lecture.
http://cafepedagogique.studio-thil.com/dossiers/lecture/index.php
Page publiée le 10-10-2006