Une expérience de formation avec des enseignants de l’école primaire.
Suite au constat de difficultés récurrentes des élèves face à l’écrit, un dispositif innovant a été mis en place dans un département à l’adresse d’enseignants de cycle 2 (5 à 7 ans) exerçant en Zone d’Education Prioritaire (ZEP). Visant à engager des transformations durables, cette formation a été pensée en termes d’accompagnement. Elle fait alterner six sessions de deux jours réparties dans l’année avec le travail dans les classes. Nombre d’enseignants rencontrés en formation énoncent les difficultés de motivation des élèves comme une de leurs préoccupations essentielles : » Ils ne font pas attention « , » certains oublient régulièrement la consigne « , » ils ne se sentent pas concernés « , » ils n’ont pas confiance en eux « … Capter l’attention par différents artifices, encadrer davantage les décrocheurs, alterner plus rapidement les séances pour contourner la dispersion sont des réponses pédagogiques souvent citées, mais qui, engendrant un morcellement des temps de classe, sont jugées fatigantes et peu efficaces par les enseignants eux-mêmes. Avant d’envisager quelques pistes alternatives, il est proposé au groupe en formation de faire un détour par le rapport des élèves à l’activité scolaire. Quelques questions simples sont posées aux élèves de chacun des degrés du cycle 2 (5-7 ans), dès la rentrée : » Que penses-tu apprendre au CP ? Comment fait-on pour apprendre ? Selon toi, à quoi ça sert de lire ? » (cf. J. Bernardin, Comment les enfants entrent dans la culture écrite, Retz, 1997.). En dépouillant eux-mêmes les réponses de leurs élèves lors d’une première session de formation, les enseignants sont interpellés par l’hétérogénéité des réponses. Beaucoup d’élèves pensent apprendre « en écoutant bien la maîtresse » ou « en allant à l’école« , alors que peu imaginent que c’est « en essayant« , « en s’entraînant« , « en demandant de l’aide « . Certains ont envie d’apprendre « pour faire plaisir aux parents » ou « pour aller dans la classe suivante« , quand d’autres pensent déjà apprendre « pour pouvoir raconter des histoires« , « pour grandir« , « pour savoir des choses« . Certains élèves ont compris qu’apprendre s’inscrit dans la durée, est un processus qui nécessite engagement personnel et persévérance, est fait d’essais successifs et d’erreurs progressivement rectifiées. D’autres, dans un rapport bipolaire au savoir (« tu sais ou tu sais pas « ), se centrent sur la tâche en oubliant son but, vivent les activités successives sans en percevoir la continuité, recherchent l’assistance de l’enseignant considéré comme seul juge de la qualité du travail. Faute de repères et de points d’appui, la relation pédagogique est ainsi bien souvent minée par une quête affective parasitant le travail intellectuel. Lever les malentendusPour travailler le problème de la » motivation » avec les enseignants en formation, on prend l’exemple de l’attention réclamée aux élèves : est-ce une demande d’allégeance, de soumission, ou un moyen au service d’un but précis ? A partir d’un exemple concret (la pratique d’auto-dictée), on cherche des pistes pour développer le sens de cette activité (comment imaginer des stratégies collectives pour ne faire aucune erreur ?) Aider les enseignants, pour aider les élèvesAvec les enseignants en formation, l’exposition de concepts ne suffit pas à en permettre l’appropriation. Cela pourrait même renforcer leur résistance classique à la Théorie, jugée parfois bien éloignée de la dure réalité du métier. C’est pourquoi il leur est demandé de retrouver une situation concrète de » réussite » déjà vécue en classe, au cours de laquelle ils ont vu un ou plusieurs élèves adopter une autre conduite, se mobiliser. En plongeant dans son expérience personnelle, chacun doit raconter la scène à un faux naïf chargé de lui faire préciser les détails, de lever les implicites, de saisir l’essence des choses derrière l’exposition des faits, avant de porter l’expérience devant le reste du groupe en répondant à la triple interrogation : quelle activité de l’enseignant ? Pour quelle activité des élèves ? Et, de son point de vue, qu’est-ce qui a été au principe de telles transformations ? Au fil des comptes-rendus successifs, le groupe recense un certain nombre d’attitudes et de pratiques pédagogiques opératoires. Le lecteur rompu aux habituelles controverses pédagogiques sera sensible au fait que les débats classiques sur les styles pédagogiques (type pédagogie moderne contre pédagogie traditionnelle) s’effacent au bénéfice d’un déplacement du regard des enseignants sur leur propre activité professionnelle, dans ce qu’elle a de plus quotidien. Loin de toute injonction, les formateurs font le pari que c’est ce qui peut engager chacun à tenter, de retour dans sa classe, des déplacements de regard et des changements » à sa mesure » Exemples de pratiques opératoires identifiées par les enseignants. Pour le maîtrePréparation de la séance
– anticiper, en « se mettant à la place » des élèves les plus en difficultés – avoir le souci de clarifier le but de l’activité pour les élèves – imaginer des situations exploratoires, ouvertes, amenant des réponses plurielles, qui vont elles-mêmes imposer la confrontation, la justification et le raisonnement collectif (se substituant alors à la simple validation par l’enseignant) – prendre appui sur ce qui a déjà été fait, faire appel à l’expérience des élèves Dans la séance : aspects matériels et rapport aux élèves Pour l’élève– verbaliser, redire, reformuler ce qu’un autre a dit
– argumenter, justifier, expliquer ses choix – classer, ranger, catégoriser – se décentrer de ce qu’on a fait pour entendre ce que les autres ont fait, expliquer la raison supposée d’une erreur commise par un autre élève. Vers les parents : Quelle évaluation de la formation par les enseignants ?Forts de cette mise à plat de l’activité de l’enseignant et de l’élève, les enseignants recentrent leurs préoccupations. Au cours d’une session ultérieure de formation, quelques semaines plus tard, ils sont invités à formuler des indices de modification du comportement des élèves dans la classe. Nombre d’entre eux font état de la difficulté d’avoir des éléments précis dans un contexte de classe qui n’a rien à voir avec un laboratoire. Cependant, plusieurs font état d’évolutions tangibles de comportement d’élèves initialement « peu motivés » : « Un enfant en très grande difficulté (CP) qui ne sollicitait pas d’aide, a compris que je peux lui apporter de l’aide, aussi bien matérielle que conceptuelle. Il a franchi le pas de demander, par exemple du matériel supplémentaire pour manipuler en maths « . En conclusionDans un système scolaire qui demande de plus en plus aux enseignants de » remédier » aux difficultés scolaires des élèves, une telle démarche de formation vise à un accompagnement des enseignants au plus près de leurs difficultés professionnelles quotidiennes. Accompagner, ce n’est pas prescrire ni faire à la place, mais se mettre au service des équipes à qui revient l’initiative du changement, sur la base des apports de la formation, de leur expérience et de leur propre volonté de transformation. En partant de la pratique (des apprenants comme des enseignants) pour la formaliser, avec l’aide d’outils théoriques élaborés par les sciences de l’éducation, la psychologie (de l’enfant, des apprentissages) et la didactique (français, mathématiques), on peut permettre l’élaboration de pratiques nouvelles. « On sort enfin de l’opposition théorie /pratique, pour être dans une théorisation de nos pratiques qui, de ce fait, a de réels effets sur ce que nous mettons en œuvre dans nos classes » expliquent les enseignants à l’occasion du bilan de la formation. En anticipant sur les difficultés des élèves, en clarifiant les buts et les mobiles de l’activité scolaire, ils revisitent le concept fourre-tout de » remédiation » en lui donnant un nouveau sens : une re-médiation du rapport de l’élève au savoir scolaire et au monde qui l’entoure. Patrick Picard
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