L’Expresso du 21 février a rendu compte du rapport de l’Inserm sur la dyslexie. Franck Ramus, un des auteurs du rapport, nous a fait parvenir ce droit de réponse que nous publions volontiers. Nous espérons ainsi ouvrir un débat autour de ces questions importantes pour l’Ecole.
Le message de F. Ramus
« L’Expresso du 21 février 2007 a présenté l’Expertise collective de l’INSERM « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques » de manière tendancieuse en commettant des erreurs factuelles sur le contenu de l’expertise, et en mettant injustement en cause les intentions des experts. Nous vous prions de porter à la connaissance de vos lecteurs le présent droit de réponse.
– L’article du Café Pédagogique entretient délibérément la confusion entre difficulté en lecture et dyslexie. Pourtant, le premier passage de l’Expertise cité indique bien qu’on ne peut assimiler l’une à l’autre. L’Expertise estime d’ailleurs que « les enfants atteints de dyslexie représenteraient selon certains auteurs environ un quart des enfants présentant des difficultés en lecture » (p. 700). Et précise à maintes reprises qu’elle n’a pas pour ambition de traiter l’ensemble de l’échec scolaire, mais seulement la petite partie qui est explicable par des troubles spécifiques. On ne peut donc vraiment pas accuser l’Expertise de vouloir une « pathologisation de l’échec scolaire » dans son ensemble.
– La faiblesse de l’argumentation est critiquée à plusieurs reprises. Il est important de préciser que le document électronique actuellement en circulation n’est que la Synthèse de l’Expertise. La Synthèse ne contient pas d’argumentation, elle ne fait qu’énoncer les principales conclusions. Mais elle est précédée d’une très importante partie d’Analyse (c’est pourquoi elle ne commence qu’à la page 635), qui, elle, contient la description et l’analyse précise de toutes les données pertinentes, ainsi que l’argumentation conduisant aux conclusions. Si des conclusions de la Synthèse paraissent contestables, il serait utile, avant de prononcer un jugement définitif, de se reporter aux chapitres pertinents de l’Analyse, afin de prendre connaissance des données empiriques et de l’argumentation.
– Même sans faire l’effort de consulter l’Analyse, une lecture moins superficielle de la Synthèse aurait permis à l’auteur d’éviter quelques interprétations hâtives et arguments sans objet. Par exemple, la lecture des pages 680-683 lui aurait indiqué que l’hypothèse d’une influence génétique sur la dyslexie n’est pas basée simplement sur la nature familiale du trouble, mais sur un ensemble de données particulièrement riche et cohérent, incluant des dizaines d’études de jumeaux, des études de liaison chromosomique, des études d’association génétique aboutissant à l’identification de quatre gènes associés à la dyslexie, et des études de neurogénétique montrant le rôle de mutations de ces gènes dans le développement des particularités cérébrales observées chez les personnes dyslexiques. On ne peut donc pas balayer l’hypothèse génétique d’un revers de main en raillant la composante familiale ; encore faut-il proposer une hypothèse alternative qui soit à même de mieux expliquer l’ensemble des données des études sus-citées. Il en est de même de toutes les conclusions de l’Expertise.
– L’Expertise n’ignore pas du tout les « facteurs sociaux, scolaires et pédagogiques des difficultés scolaires », et n’écarte pas « toute causalité scolaire ou pédagogique aux difficultés des élèves ». Elle admet au contraire que ces facteurs jouent un rôle essentiel dans l’échec scolaire en général, mais constate qu’ils ne constituent pas la cause première de la dyslexie, qui ne concerne, rappelons-le, qu’environ un quart des élèves en échec. Par ailleurs, elle indique bien que l’influence des facteurs génétiques est loin d’être déterministe. Seule une totale incompréhension des mécanismes biologiques peut conduire à penser que les facteurs sociaux ou les pratiques pédagogiques sont sans influence sur les troubles d’origine biologique.
– L’Expertise ne déresponsabilise pas la société et l’Ecole de la genèse de l’échec scolaire. Elle les déresponsabilise de la genèse des troubles spécifiques des apprentissages. Elle précise par ailleurs que même si l’Ecole n’est pas responsable de ces troubles, cela ne la dispense pas de les prendre en compte, notamment en mettant en place des programmes de prévention qui peuvent en atténuer les symptômes et les conséquences, et en proposant des aménagements adéquats pour les élèves qui souffrent d’un réel handicap.
– L’INSERM n’a écarté personne du groupe d’experts. Il a sélectionné les experts sur la base de leur expertise internationalement reconnue, ce qu’il a mesuré concrètement par leur publications sur le sujet de l’expertise dans les revues scientifiques internationales (toutes disciplines confondues, incluant les sciences sociales et de l’éducation). Il s’avère que l’INSERM n’a trouvé aucun sociologue ou pédagogue français ayant publié sur la dyslexie, la dysorthographie ou la dyscalculie dans les revues scientifiques internationales. En revanche, il a invité Philippe Meirieu, spécialiste de sciences de l’éducation, à réagir sur l’Expertise. Sa note de lecture critique est annexée à l’Expertise, ainsi que la réponse des experts au point de vue ainsi exprimé.
Plus généralement, dans un but purement rhétorique, l’article du Café Pédagogique attribue à tort aux experts des intentions et des pensées qui ne sont pas les leurs : pathologisation des difficultés scolaires, ignorance délibérée des facteurs non biologiques, déresponsabilisation, vision simpliste des chemins d’apprentissage, sans parler de l’adhésion à une école de pensée « perverse » (1) .
Enfin, il est étonnant que le Café Pédagogique promeuve auprès des enseignants une attitude anti-scientifique. En somme, il leur dit : « Peu nous importe l’accumulation, jour après jour, de données scientifiques toujours plus complètes, toujours plus cohérentes et convaincantes, nous refusons d’en prendre connaissance car notre vision de l’enfant et des apprentissages est à jamais immunisée contre les données empiriques objectives. Nous continuerons donc coûte que coûte à croire ce que nous avons toujours cru. » N’y a-t-il pas là tous les symptômes d’une idéologie ? N’est-il pas inquiétant de véhiculer un tel message aux enseignants chargés d’éveiller en nos enfants la rationalité, l’esprit critique et la démarche scientifique ?
Plusieurs des experts co-auteurs du rapport ont récemment protesté contre la déformation par le pouvoir politique du discours scientifique sur l’apprentissage de la lecture ; le Café Pédagogique s’en était alors félicité. La même rigueur conduit aujourd’hui ces experts à refuser que leurs propos soient caricaturés. La recherche scientifique s’accommode mal des dogmatismes, de tous les dogmatismes.
Les auteurs de l’expertise collective de l’INSERM « Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie : Bilan des données scientifiques »
(1) La France compte, dans ce courant de recherche, un ancêtre de renom : Henri Wallon, philosophe, psychologue et psychiatre, qui a créé (en 1925) un laboratoire de « Psychobiologie de l’enfant ». Titulaire de la chaire de « Psychologie et éducation de l’enfance » au Collège de France (1937 à 1947), il a fondé, avec Hélène Gratiot-Alphandéry, la revue « Enfance » (1948). Henri Wallon a toujours mis en avant les interrelations entre facteurs biologiques, sociaux et psychologiques dans le développement. La France doit également à ce chercheur un plan qui avait pour visée de moderniser et de démocratiser l’école (le plan « Langevin-Wallon », 1945-1946).
La réponse de F. Jarraud (pour le Café)
Le Café pédagogique a régulièrement rendu compte des travaux de F. Ramus sur la dyslexie. Ceux-ci nous semblent tout à fait importants et nous avons invité les enseignants à les lire. Nous ne les sous-estimons pas du tout.
Pour autant nous avons un désaccord fondamental avec F. Ramus. Ce qu’il nous dit c’est qu’une fois que les neurosciences ont parlé, les enseignants doivent non seulement se taire mais appliquer une pédagogie unique fruit des travaux de laboratoire. Or pour nous la science n’est pas là pour clore les débats mais au contraire pour les nourrir.
Les travaux des auteurs du rapport ne doivent assurément pas être négligés et ils sont porteurs d’enseignement dans le cadre précis qui les définit. Pour autant ils ne nous paraissent pas répondre d’une part à la variété des cas évoqués dans le rapport (va pour la dyslexie, mais la dysorthographie et de la dyscalculie restent encore à définir précisément), d’autre part à la variété des situations que rencontre le maître en classe face aux difficultés d’apprentissage. Face à un élève qui fait des fautes d’orthographe ou qui a du mal à calculer, il y a mille facteurs qui peuvent expliquer cela et mille approches pédagogiques possibles. Nous ne reconnaissons pas aux neurosciences le monopole de la parole et de la méthode. C’est ce que nous avons dit en estimant que ce rapport associait « une grande rigueur scientifique et un éclairage borné« . Nous avons montré que certains raisonnements portés dans le rapport, quand ils quittaient le champ des neurosciences, étaient peu rigoureux.
Il nous semble que les sciences sociales, les sciences de l’éducation ont aussi leur mot à dire dans ce débat sur les apprentissages et qu’elles ont été écartées du rapport sans motif objectif. C’est particulièrement fâcheux pour un rapport que l’on présente comme un « bilan ». Il s’agit sans doute d’un bilan pour les neurosciences. Et il ne faut pas le sous-estimer. Pas d’un bilan à propos des troubles d’apprentissage.
Parce que les troubles qui sont ici évoqués touchent des milliers d’enfants, parce c’est la mission d’un enseignant que de chercher le chemin qui peut aider chacun de ses élèves, nous espérons ouvrir ici un débat sur ces troubles d’apprentissage. Et nous invitons les spécialistes de la dyslexie, de la dysorthographie et de la dyscalculie à y participer.
L’article de L’Expresso du 21 février
Compte-rendu des travaux de F. Ramus dans le Café en 2006