La dramatique affaire de Meaux a amené les médias à s’emparer, à tort ou à raison, du thème de la violence scolaire et à le propulser au premier rang de l’agitation médiatique du moment. A vrai dire cette place n’est pas imméritée. Il serait bien dangereux de minimiser son importance et de la négliger. La fréquentation du Café suffirait à nous en convaincre : le mot « violence » arrive en tête des requêtes dans notre moteur de recherche. Et le Café publie très régulièrement des analyses sur ce sujet.
Fin décembre chacun utilisait le drame à sa façon. Dans Le Figaro, Yves Thréard rendait l’Ecole responsable de la violence de la société et appelait à » la nécessaire remise en ordre de notre système éducatif ». Dans l’autre camp, la Fcpe, par exemple, dénonçait le manque de moyens : « cet accident dramatique est aux yeux des parents d’élèves une conséquence du manque chronique de moyens de surveillance et d’encadrement… La FCPE refuse que la sécurité des enfants soit sacrifiée par des économies de « bout de chandelle » ». Le ministre intervenait pour prôner « la tolérance zéro » face à la violence.
Une déclaration qui révèle un vide conceptuel rue de Grenelle. La dernière et plus importante intervention de Gilles de Robien sur ce sujet a été la publication en septembre 2006 de trois brochures d’une rare indigence qui prolongeaient une demande du ministre de l’intérieur. Les deux premières s’adressaient aux enseignants pour leur faire connaître les qualifications pénales des actes dont ils pourraient être victimes. La troisième, la plus importante, s’adressait aux chefs d’établissement pour leur apprendre comment collaborer avec la police et les méthodes de fouille. S’agissant d’un thème aussi important que la prévention de la violence scolaire, on pouvait attendre d’un ministre de l’éducation autre chose qu’un rappel du code pénal et un manuel d’apprenti vigile. Deux ouvrages qui ne répondent pas au défi.
Que sait-on de la violence scolaire ? La violence scolaire est connue à la fois par les recensements officiels, comme les chiffres de Signa publiés cette semaine, et par les enquêtes de victimation menées par les sociologues de l’Ecole comme Eric Debarbieux. Contrairement à ce que pourraient donner à penser les faits relayés par les médias, la violence scolaire est globalement stable depuis une dizaine d’années. La forme de loin la plus répandue, mais qui échappe au logiciel Signa, est le harcèlement effectué par un ou des élèves contre un autre élève. On a là une cause importante d’échec scolaire voire de déscolarisation.
En même temps la violence scolaire évolue. Eric Debarbieux a pu montrer que c’est de plus en plus souvent une violence de groupe. C’est d’ailleurs également ce que nous rappellent les faits divers survenus à Meaux, ou à Marseille, ou plus récemment près de Lausanne où une jeune fille a été victime du harcèlement virtuel et réel de ses camarades de classe.
La violence a un rapport avec l’exclusion. Les derniers chiffres de Signa montrent qu’elle est la plus fréquente dans les établissements zep-rep. C’est aussi là où elle progresse alors qu’elle diminue généralement dans les lycées. C’est dire que l’exclusion sociale, qui échappe largement à l’Ecole, est un élément très important du problème.
Pourtant l’Ecole a aussi sa part. » Tout le monde est d’accord pour dire que la violence scolaire a plusieurs causes. La situation économique, familiale ont leur part. Mais il y a aussi des facteurs liés à l’institution scolaire » nous disait Eric Debarbieux en mars 2006. « En particulier, il y a une forte corrélation entre la qualité du climat scolaire et la victimisation. Le climat scolaire c’est la qualité des relations entre adultes et élèves et entre adultes; la capacité à avoir un dialogue et non un affrontement avec les élèves. C’est aussi la clarté des règles collectives. Le climat peut se dégrader par exemple quand les punitions diffèrent d’un enseignant à l’autre. Les sentiments d’appartenance collective et de justice sont deux composantes essentielles de ce climat ».
Agir localement contre la violence. Cette analyse nous ouvre les voies d’une politique de prévention contre la violence. Elle doit avoir une dimension nationale. Il faut cesser de dire que les moyens n’ont pas d’importance. Une réelle politique de soutien aux quartiers défavorisés devrait prendre la place du saupoudrage et de l’émiettement pratiqués actuellement. Il faut agir à la fois dans les écoles en donnant aux établissements ambition réussite des moyens très supérieurs et dans les quartiers.
Mais il faut aussi agir sur le fonctionnement même de l’Ecole. Et d’abord contre la culture de l’humiliation qui est la valeur la plus commune d’une Ecole, des rapports d’inspection aux bulletins trimestriels. Il faudrait également une école qui ne se débarrasse pas de l’éducation des enfants sur l’extérieur ou sur les Cpe.
Ces exigences peuvent se décliner au niveau national. Mais on perçoit bien à quel point cela risque d’être laborieux. Elles peuvent sans attendre être davantage prise en charge au niveau local.
Article d’Eric Debarbieux
Article d’E. Tartar Goddet
Dossier du Café