« Sans dire toujours son nom, sous des habits divers, le concept d’évaluation s’est introduit et a fait peu à peu son chemin dans le système éducatif français. Mais la diversité des approches, l’insuffisante rigueur de certaines démarches, la confusion des genres et parfois des acteurs sont autant de freins à l’enracinement d’une véritable « culture » de l’évaluation. Plus spécifiquement, dans le système scolaire français, subsiste un problème majeur : la reproduction, consciente ou inconsciente, d’un modèle traditionnel et, de ce fait, l’assimilation de toute évaluation (des enseignants, des établissements, des territoires ou des organisations), à la notation et au classement des élèves. Il en résulte souvent une interprétation biaisée chez l’évaluateur et des réticences spontanées chez l’évalué ».
Le rapport annuel des inspections générales de l’éducation nationale est largement consacré au thème de l’évaluation. C’est que celle-ci, dans le cadre de la loi Fillon et de la loi de finances (LOLF) devient un outil de pilotage du système éducatif français, comme il l’est devenu dans d’autres pays développés.
Le rapport aborde les différentes évaluations : des académies, des établissements, des enseignants et des acquis des élèves. Au niveau académique, il met en évidence la nécessité d’une approche territoriale. » Les évaluations de l’enseignement dans les académies ont mis en lumière la disparité et l’hétérogénéité des territoires qui les composent. Pour qui souhaite évaluer le fonctionnement du système, la prise en compte du niveau infra-académique et même infra-départemental apparaît comme une nécessité, pour plusieurs raisons. D’une part, l’approche par les territoires permet de mesurer l’écart entre les politiques nationales, relayées par l’échelon académique, et les perceptions ou les applications locales… D’autre part, le territoire est le lieu où s’élaborent les stratégies d’établissement et où se constituent les réseaux, qu’ils soient officiels ou non. Les établissements de toute nature y interagissent, dans un rapport de complémentarité ou plus souvent de concurrence. Mais ce territoire représente aussi un enjeu, en termes d’aménagement, pour les élus et les décideurs locaux, qui entendent intégrer son développement à leur propre stratégie. Enfin, c’est un espace qui « cristallise » du temps : celui d’un parcours scolaire de la maternelle au baccalauréat, parcours accompli le plus souvent par l’élève dans les limites d’un territoire, auquel lui-même et sa famille restent fréquemment attachés ». Les premières évaluations confirment l’importance de cette approche : » c’est à l’intérieur d’un territoire homogène, dont les contraintes spécifiques ont été clairement identifiées, que l’autorité académique doit constituer une offre de formation cohérente. Cette cohérence de l’offre passe nécessairement, à chaque niveau d’enseignement, par une articulation entre des pôles de spécialité reconnus et une recherche constante de la complémentarité. Elle exige aussi un principe de continuité, particulièrement important quand il s’agit de l’offre de langues vivantes » .
Elle met également en évidence les ruptures de continuité dans le suivi des élèves. Ainsi » les livrets de l’élève, au demeurant inégalement renseignés et souvent peu informatifs, sont transmis au collège mais rarement exploités ou consultés. La défiance compréhensible des enseignants de collège à l’égard des préjugés et des a priori rend du même coup fragile toute idée de suivi et de progrès sur le long terme. Les projets personnalisés d’aide et de progrès (PPAP) mis en place à l’école élémentaire pour les élèves en difficulté ne sont pas poursuivis au collège… Tout au long de ce parcours semé d’obstacles et de ruptures, l’élève, pourtant toujours le même, n’est pas suivi, ou, pour utiliser un jargon contemporain, n’est pas « tracé ». D’une structure à l’autre, des outils différents (livret, dossier, bulletins) encadrent une section de ce parcours total, mais ne peuvent rendre compte de la réalité d’un cursus entier. L’absence de suivi de cohortes réelles sur le long terme est lourde de conséquences à la fois pour les autorités académiques, les chefs d’établissement et les enseignants, qui, privés de cette vision du devenir de leurs élèves, sont condamnés au pilotage à vue, dans un système discontinu et, volontairement ou non, « oublieux ». Cette absence d’un suivi individuel systématique, qui nécessite une identification unique de chaque élève tout au long de son parcours, est sensible en particulier pour les élèves « décrocheurs » qui sortent prématurément du système scolaire public ».
Le rapport préconise également de nouveaux procédés pour l’évaluation des établissements et des pratiques enseignantes ce qui les amène à définir la « liberté pédagogique » fixée par la loi Fillon. Ils posent aussi la question du rôle du chef d’établissement dans l’évaluation des enseignants. » Il est un autre point sur lequel les protocoles et les pratiques d’inspection fluctuent : le degré jusqu’auquel le chef d’établissement est associé à l’inspection individuelle d’un enseignant. Dans le respect de la note de service de 1983 qui exige que l’inspection prenne en compte « l’ensemble des activités de l’enseignant », inspecteurs et chefs d’établissement coopèrent largement pour l’échange d’informations, aussi bien en amont de l’inspection que dans ses prolongements. Mais, dans l’académie de Toulouse les inspecteurs généraux ont noté que « si les principaux de collège accompagnent les inspecteurs dans la classe, les proviseurs ne le font que rarement, ce qui est regrettable ». Cette présence du chef d’établissement dans la salle de classe le jour de l’inspection reste une pratique qui relève du simple usage. Les progrès de cette pratique traduisent très exactement les progrès de la culture du « pilotage partagé » à tel endroit, de la même façon que son inexistence à tel autre révèle les réticences que cette culture peut encore susciter. En tout état de cause, aucune prescription formalisée n’est venue à ce jour inscrire cet usage dans le champ du réglementaire. Dans la distribution des rôles entre les acteurs de l’évaluation des professeurs du second degré, la place et la fonction du « chef d’établissement pédagogue » restent en attente de définition ». Ils invitent également à recueillir la parole de l’élève. » C’est en interrogeant les élèves, en observant le cadre de la classe et les productions des élèves que l’inspecteur peut établir un bilan correct » .
Le rapport