Bibliographie
L’histoire avait retenu de Paul Reynaud l’image d’un homme politique particulièrement clairvoyant et actif, un ennemi des concessions qui aurait lutté jusqu’au bout contre les erreurs, les abandons et les lâchetés qui ont conduit le pays à la défaite de 1940.
Thibault Tellier, maître de conférences à Lille III, tient une thèse qui éclaire différemment le personnage de Paul Reynaud, tout en reconnaissant sa place unique dans la vie politique française. Il analyse en détail son activité politique et reconstitue avec efficacité le climat et les débats politiques français. Ce qui l’amène à écorner l’icône.
Paul Reynaud fut-il un « dur » lors de la crise de Munich ? Après un discours très ferme en faveur de la guerre à Leeds au début de la crise, T. Tellier signale son silence après la conférence et particulièrement au conseil des ministres, où seul Mandel s’exprima contre l’accord.
Mais la période la plus déterminante est celle où, après le déclanchement d’une guerre que Paul Reynaud avait eu le courage d’annoncer aux français, il se trouve aux affaires d’abord comme ministre de finances puis comme président du conseil.
Paul Reynaud a-t-il su préparer économiquement la victoire ? On sait que ce fut la thèse d’un ouvrage publié par Reynaud peu de temps après sa sortie de captivité. Il y explique que les commandes françaises ont permis à l’industrie de guerre américaine d’apparaître. Si le ministre est très actif avant septembre 1939 et fait passer des textes fondamentaux, il semble ne plus s’intéresser qu’à la conduite de la guerre après septembre. Pour Alfred Sauvy, qui fut un de ses conseillers, « Paul Reynaud était plutôt incliné par son esprit vers des méthodes libérales. Dans la drôle de guerre il n’était plus bien à son affaire ». Et on voit en effet Reynaud freiner les commandes de l’état-major, particulièrement celles des avions aux Etats-Unis.
Comme président du conseil, Reynaud eut à affronter la débâcle de juin 1940. De Gaulle, qui fut son ministre, l’a présenté comme un défenseur inflexible de la résistance face aux capitulards. T. Tellier a beau jeu de monter que Reynaud s’en entoure pourtant, le plus célèbre étant bien sur Pétain, qu’il fait entrer au conseil, mais d’autres noms sont importants : de Villelume, Weygand, Beaudouin par exemple. Le 16 juin, lors du conseil qui allait entraîner la nomination de Pétain, Reynaud a démissionné sans avoir fait voter les ministres sur l’armistice. Il n’est pas certain qu’il aurait été minoritaire et dans tous les cas il pouvait compter sur les présidents des chambres pour constituer un autre gouvernement. Pour T. Tellier, « à l’heure des choix, Paul Reynaud ne sut se muer en chef ».
Comment l’expliquer cela alors que la lucidité de P. Reynaud est totale ? Pour T. Tellier la formation d’avocat de Reynaud le poussait davantage à se mettre en plaideur qu’en arbitre. Plus profondément, P. Reynaud a toujours agi en combattant solitaire, il n’a jamais su devenir un homme de parti. « Comment concilier l’indépendance en politique et la mise en oeuvre de ses idées » s’interroge T. Tellier. Enfin Reynaud semble avoir été prisonnier des usages de la IIIème République même dans ses jours les plus sombres.
L’ouvrage de T. Tellier va donc bien au-delà de la vie de Reynaud. Il reconstitue un demi-siècle de vie politique française. Il apporte un éclairage intéressant sur la question de l’incroyable défaite. Il montre que l’histoire biographique est nécessaire à l’historien.
Thibault Tellier, Paul Reynaud. Un indépendant en politique. 1878-1966, Paris, 2005, Fayard, 888 pages.