Le changement en éducation : le B2i comme étude de cas
On reproche souvent aux ministères qui se succèdent de défaire ce que les précédents ont construit. Il est pourtant un cas étonnant et récent qui n’a pas subi ce sort, bien au contraire : le B2i. D’une simple note de service parue en 2000, ce dispositif nouveau a non seulement été maintenu depuis sa création, mais la logique qui prévaut dans cette « invention de l’institution » se trouve même renforcée progressivement avec la mise en place du C2i en université pour le niveau 1 et dans les IUFM pour le niveau 2.
Malgré cette constance, on peut légitimement tenter de répondre à la question que me posait récemment Jean François Cerisier (Maître de Conférence, Université de Poitiers) : le B2i est-il soluble dans l’institution ? En effet les observations de terrain montrent que si en primaire, la mise en place se fait régulièrement mais de manière très inégale, en collège les choses sont beaucoup plus difficiles. De plus le B2i niveau 3 pour les lycées qui était en expérimentation depuis la rentrée scolaire 2002 n’est toujours pas annoncé et les résultats de l’expérimentation non connus à ce jour.
L’observation de ce dispositif que je mène depuis sa création est un bon terrain pour proposer une lecture des problèmes de changement dans le monde scolaire et en éducation. Inventé par un petit groupe « clandestin » motivé et militant, le B2i qui connaît des fortunes diverses permet une lecture particulièrement riche des difficultés que rencontre l’institution centrale à faire valoir ses arguments dans les établissements scolaires et auprès des enseignants.
Les origines du B2i
Il faut revenir au moins en 1997 pour comprendre d’où vient le B2i. En effet, le développement des TIC en éducation a connu au cours des trente dernières années des fortunes diverses en particulier autour de la question d’un enseignement disciplinaire de l’informatique dans l’enseignement scolaire.
Au croisement de deux logiques, celle de l’enseignement primaire et celle de l’enseignement de la technologie, le B2i mélange aussi bien des problématiques d’apprentissages que des problématiques techniciennes. Les « inventeurs » du B2i sont principalement issus de ces deux univers. A cela s’ajoute la volonté politique de contrer l’arrivée de produits issus du monde industriel (PCIE, Permis de Conduire Informatique Européen), ainsi que, dans un autre champ, la volonté, toute aussi politique, de faire « bouger » les enseignants et de leur forcer un peu la main dans l’intégration des TIC dans leur pratique.
C’est ainsi qu’au sein d’une institution, que nous pensons souvent sage, raisonnable, un groupe a pu travailler en dehors des règles établies de construction des programmes. Le B2i est arrivé surprenant même le ministre qui l’appelait même « B vingt et un » lors de sa création ! Surprise, tel est le mot qui vient à l’esprit de tous ceux qui découvrent ce texte. Et pourtant l’intention avait été annoncée avec le PAGSI, puis avec la création de la mise à niveau en classe de seconde en lieu et place de l’option.
L’appropriation de l’invention au sein de l’institution scolaire
A partir du moment où un texte officiel est publié, et souvent même avant, il est l’objet d’un grand nombre de réactions (regardons ce qui s’est passé pour les TPE).Or pour le B2i, les réactions ont été très rares. Un seul syndicat avait réagi un mois avant la publication, très peu d’articles dans la presse… spécialisée ou non. Quant aux éditeurs, alliés traditionnels et intéressés, ils ont très peu emboîté le pas de l’institution, sans doute embarrassés par le cadre posé autour de ce texte qui donnait lieu à un dépôt de marque à l’institut de la propriété industrielle, le ministère voulant contrôler l’emploi du mot par les commerçants.
Si la publication du texte a pu surprendre, il est une chose qui est peu connue et qui est étonnante : c’est la résistance au sein même de l’institution, en particulier des inspections disciplinaires et de nombreux cadres de l’institution, peu attirés par cet « objet étrange » surgi dans un paysage bien formaté. L’inspection générale s’est émue publiquement de cette résistance, mais rien n’y a fait. De la volonté de diffuser un dispositif à sa mise en place réelle, il y a de nombreux obstacles à franchir et celui-là était le premier et le plus inattendu.
Du coté des équipes éducatives et des établissements il serait très facile d’employer l’argument de la « traditionnelle résistance au changement ». La réalité est bien plus complexe. Mais pour la découvrir encore faut-il y regarder de plus près ! En réalité, il semble que le problème principal soit celui de la possibilité pour chacun de « traduire » le texte dans le contexte de son établissement et de son enseignement ou de son activité professionnelle. L’observation montre que c’est ce mécanisme de traduction, très mal engagé du fait de la non concertation en amont de la publication du texte, qui ne s’opère que progressivement et selon un processus lent. En réalité, le B2i accumule les inconvénients : il pose la question de la maîtrise technique des enseignants, il propose un cadre d’évaluation dérangeant par rapport au modalités habituelles, il met en évidence, dans la classe l’aisance (réelle ou feinte) des élèves face à des machines et plus généralement face à une civilisation de l’information et de la communication qui est désormais bien plus la leur que celle de leurs enseignants, même s’ils s’en défendent.
Dès lors, pour passer d’un texte injonctif à des pratiques ordinaires il y avait un paradoxe presque insurmontable. Et pourtant la persistance de ce dispositif et son renforcement semblent indiquer que le processus en cours et sinon irréversible, du moins conforté. Rentrer dans le détail de ce processus d’appropriation demanderait ici un trop long développement. En tout cas les débats récurrents sur le B2i semblent indiquer qu’il ne laisse pas indifférent, et l’enseignement primaire montre, par la multiplication des initiatives, que les enseignants se l’approprient progressivement, mais qu’il faut être patient.
Une logique globale d’intégration des TIC
L’arrivée du C2i montre qu’une logique globale se met en place. Certains disent que, puisqu’on n’a pas réussi en passant par les élèves, on va essayer de passer par les enseignants débutants. D’autres disent, au contraire que se construit là un édifice cohérent qui vise à remettre enfin les choses à l’endroit en formant, enfin, les enseignants.
Il est encore trop tôt pour apprécier ce que va devenir ce mouvement. La mise en place du B2i à l’école et au collège a eu le mérite de donner une légitimité à tous les personnels qui, dans les rectorats et inspections, comme dans les établissements, oeuvraient pour l’intégration des TIC dans les enseignements. Même si une fois paré de cette légitimité, ils ont parfois tenté de détourner le B2i dans le sens qui allait leur servir, on constate qu’il a posé un cadre d’action qui permet de passer d’une incantation à une injonction.
Reposant sur l’usage des technologies et non sur la connaissance et la maîtrise de celles-ci, cette logique s’appuie sur une évolution culturelle globale : l’environnement familier et professionnel est peuplé de technologies multiples, il convient de fournir dans le cours de la scolarité les repères scolaires pour intégrer cette culture. Pourtant cette logique se heurte encore à la question de la maîtrise technique préalable à l’usage. C’est pourquoi la lecture attentive des textes laisse apparaître, depuis de nombreuses années, un écart entre la nécessité de technique et l’impact de l’usage. En effet, c’est l’usage prescrit et réel qui est révélateur de l’évolution culturelle et pas seulement l’objet technique qui en lui même est très malléable (en particulier pour l’ordinateur).
En mettant de la cohérence, ou au moins en tentant de le faire, l’institution scolaire est logique avec sa mission. Elle a été longtemps précurseur des utilisations familiales et accompagnatrice des pratiques professionnels. Elle se trouve désormais confrontée à une évolution du contexte qui l’amène à développer une nouvelle politique qui même si elle refuse de le dire, est le signe d’une inquiétude plus générale à propos de la place prise par l’information et la communication dans la vie de chacun de nous. Il y a d’ailleurs à craindre qu’en privilégiant malgré tout une approche techniciste comme on peut le lire dans les item du B2i, l’institution ne passe à coté de ce qui constitue probablement le réel problème : la culture d’information et de communication envahissant le quotidien des jeunes et des adultes.
Le B2i en questions
On peut, à propos du B2i se poser quelques questions : n’est-il pas le sous marin des marchands d’informatique ? Est-il la bonne réponse à une évolution culturelle ? Est- il suffisamment pertinent dans la maîtrise technique ?…
Il est toujours possible de mettre en accusation un texte s’il n’y avait aussi ceux auxquels il s’adresse qui, eux- mêmes, tentent d’en faire quelque chose. C’est dans l’observation de ces pratiques que ces questions me semblent pouvoir trouver quelques éléments de réponse. D’autant plus que ces pratiques ne s’arrêtent pas au seul B2i, mais articulent celui-ci avec d’autres activités souvent considérées au quotidien comme plus importantes.
Les nouveaux programmes du primaire ont intégré le B2i, mais ils ont aussi amené les enseignants à un travail d’intégration de l’ensemble de ces directives qui a pu sembler lourd à certains. En collège, la collision avec les itinéraires de découverte n’a pas arrangé la mobilisation des équipes. On le voit, le B2i n’est pas forcément une priorité !
L’intégration du B2i se fait au rythme d’une sorte d’acculturation dont on observe chaque jour le processus. Le signe le plus tangible de ce mouvement est la tentative de passage d’une pratique personnelle à une pratique professionnelle intégrée. Mais cette acculturation ne porte pas seulement sur la technique, mais aussi sur l’apprentissage. Car le B2i c’est avant tout penser que les TIC sont avant tout affaire d’apprentissage avant d’être affaire d’enseignement, et c’est là que souvent se révèlent les difficultés…
La scolarisation des savoirs : entre appropriation et apprentissage
En tentant de scolariser des usages, le B2i impose un cadre, une norme à des pratiques sociales très diversement stabilisées. La sociologie de l’usage nous montre que le processus d’appropriation est central dans la relation que les individus entretiennent avec les objets techniques. Construction de sens, développement de savoirs faire, acquisition de savoir sont des effets de ce processus qui s’apparente, dans son résultat à ce que tente de faire le système scolaire. Et pourtant le système scolaire tente de réguler, de stabiliser cette appropriation au sein d’apprentissages (acquisitions) scolaires. Cette tentative peut être lue de plusieurs manières : on veut encadrer les esprits, on veut éviter les inégalités, on veut structurer les usages dans des apprentissages rationnels, on veut reconnaître et articuler ce que l’on fait à l’école et en dehors… Il est très difficile de préciser ce qui est en jeu, car il y a interférence entre tous ces aspects, fort probablement.
Il faut reconnaître que fournir un cadre à l’action est toujours ambigu : soit le cadre devient une prison dont on ne peut sortit, soit le cadre est une base pour progresser et aller plus loin. Seul l’observation de l’évolution des usages permettra de dire la place que prendra le B2i dans ce processus. il faut craindre cependant que , s’il rentre dans les examens, comme le souhaite l’inspection générale dans son dernier rapport, il ne devienne un « machin scolaire » de plus, risquant de ringardiser une fois de plus le système scolaire.
Bruno Devauchelle
CEPEC
