Dans la conclusion du livre dirigé par Agnès Van Zanten (L’école, état des savoirs, Peut-on encore réformer l’école ?, éditions La Découverte, 2000), François Dubet, après avoir exploré une à une les voies possibles de la réforme, après les avoir toutes refermées, convaincu que les obstacles qui les obstruent sont insurmontables, ne laisse finalement ouverte que la voie du politique, celle qui passe par le recours à la représentation nationale : « ce n’est certainement pas la voie la plus aisée, mais il est difficile d’en imaginer une autre ».
C’est peut-être en effet une affaire d’imagination. Car, parallèle à cette force qui vient d’en haut et qui procède par la définition de nouvelles orientations puis de nouvelles règles applicables à tous, il existe une autre force de changement, de sens opposé. Elle est la résultante d’une multitude d’innovations de terrain mises en oeuvre librement par des enseignants et des équipes pédagogiques volontaires. Mais Dubet, comme tous les sociologues de l’éducation qui ont appris que « le changement passe plus par une transformation des règles que par une injonction rituelle au changement des pratiques » ne croit pas au pouvoir réformateur de ces évolutions pédagogiques qui se font souvent « à la périphérie du système, à la marge des pratiques scolaires proprement dites » et dont il estime qu’elles ne sont souvent que des « gadgets ».
Il est vrai que la force diffuse des innovations locales est difficile à observer et à mesurer. La publicité faite artificiellement à certaines d’entre elles incite à croire leur impact globalement sur-estimé. Mais si l’on considère la multitude des innovations ordinaires restées dans l’ombre, ignorées parce que trop discrètes ou non inscrites dans des projets collectifs reconnus, ou même cachées par ceux qui en sont les initiateurs, on peut aussi être tenté de conclure, à l’inverse, que la force de l’innovation locale est en réalité largement sous-estimée. Nous ne savons pas mesurer le pouvoir que ces forces dispersées et naturellement divergentes exercent sur l’ensemble du système. C’est sans doute l’une des raisons qui nous empêche de croire qu’elles pourraient converger vers une forme pédagogique commune et atteindre la masse critique qui forcerait l’institution à se redéfinir à partir d’elles. Mais n’est-il pas tout aussi difficile aujourd’hui d’imaginer qu’un gouvernement, même bien appuyé sur la représentation nationale, réussisse enfin à proposer des réformes structurelles de l’école, c’est-à-dire des réformes de règles et de statuts, auxquelles les enseignants adhèreront massivement ?
Reste une troisième voie : que ces forces hétérogènes et a priori antagonistes se combinent et se conjuguent. Pour que cela soit possible il faudrait que les responsables institutionnels et politiques de l’éducation, mais aussi les sociologue qui les éclairent, acceptent d’accorder aux innovations locales l’attention et la considération qu’elles nous semblent devoir mériter. Nous en sommes évidemment assez loin.
Dans les dix prochains jours, le Café pédagogique sera associé à deux événements qui nous semblent pourtant aller dans ce sens car elles contribueront à rendre plus visibles l’important potentiel d’innovation que les TIC apportent à l’éducation. Samedi prochain, nous réunirons à Paris des représentants des communautés d’enseignants qui concrétisent l’aspiration à la convergence des nouvelles pratiques pédagogiques dont nous avons fait l’hypothèse qu’elle est l’une des voies de la réforme. Le 7 mai à Moliets, 180 professeurs des collèges landais seront rassemblés pour se livrer à un exercice semblable. Mais ils seront cette fois accompagnés de représentants de l’Education nationale et de collectivités locales. Ce sera l’occasion de voir si, sur un territoire limité ici à un département, les forces réformatrices habituellement étrangères l’une à l’autre sont capables de se reconnaître et de se conjuguer plus efficacement.
Serge Pouts-Lajus
Le 1er mai : séminaire du café à Paris :
Le 7 mai : colloque à Moliets :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/landes04_index.aspx