On attendait un très fort taux d’abstention aux élections régionales et cantonales. Finalement il ne sera « que » fort et tous les partis se félicitent du recul de l’abstention. Pour autant il semble que les Français restent méfiants envers la décentralisation. Le Monde du 19 mars rappelait que près de 80% de nos concitoyens se déclarent « mal informés » sur les pouvoirs du conseil régional. On peut penser que les compétences éducatives de la région et du département, alors même qu’elles sont importantes et renforcées; échappent à la plupart des électeurs.
Si 85% des Français craignent qu’un surcroît de décentralisation se traduise par une hausse des inégalités régionales, on peut penser, en se rappelant le mouvement de grève de l’an dernier, que les enseignants partagent largement cette méfiance envers la décentralisation.
Curieusement, bien d’autres inégalités fracturent l’Ecole sans soulever autant d’opposition et d’inquiétude . Dans ce numéro du Café, par exemple, nous rendons compte d’une étude de Marie Duru-Bellat sur la fracture sociale dans les établissements scolaires. Elle établit que « toutes choses égales par ailleurs, le pourcentage d’élèves d’origine sociale favorisée influence positivement les résultats de fin d’année ». Comment s’étonner alors de voir la carte scolaire soumise aux pressions des familles aisées ? L’Ecole est aussi menacée par d’autres ruptures. Les travaux de Georges Félouzis sur les collèges aquitains montrent qu’une véritable sélection ethnique s’opère dans l’école républicaine. Le phénomène reste encore un sujet tabou en France mais il est bien connu et suivi officiellement chez nos voisins européens comme en témoigne une étude britannique dont nous rendons compte. Il s’accompagne d’une montée des pressions communautaristes qui remet en question les valeurs mêmes de la société démocratique. Pourtant ces ruptures sont moins perçues et semblent moins inquiéter que le désengagement de l’état au profit des acteurs locaux.
Dans ce contexte, il nous a paru intéressant de montrer ce que peut être le rôle des acteurs locaux en matière d’éducation. Nous avons réservé une partie de ce numéro à un dossier sur « Ordina 13 ». Dans le cadre de ce programme, le conseil général des Bouches-du-Rhône équipe systématiquement les collégiens de 4ème et de 3ème d’un ordinateur portable. A la rentrée 2004 60.000 jeunes, et leurs professeurs, auront perçu un ordinateur relié à Internet en Wifi. Nous avons cherché les retombées pédagogiques d’Ordina 13. Elles se font déjà sentir dans la mobilisation d’une partie des enseignants qui, spontanément, utilisent l’ordinateur à la fois pour échanger avec leurs élèves et pour mutualiser leurs pratiques.
Dans ce département, » le Conseil Général s’attribue une obligation de moyens (l’équipement en ordinateurs, câblage, ressources humaines, ATI) l’Etat a seul, via le ministère de l’éducation et les enseignants, la responsabilité de la pédagogie ». Ordina 13 apporte de nouveaux moyens pédagogiques et s’accompagne d’une décentralisation des décisions qui associe Etats, département et les enseignants de chaque établissement.
Ainsi dans les Bouches-du-Rhône, dans les Landes, un département dont le Café reparlera, la décentralisation a apporté des moyens matériels nouveaux à l’Ecole avec la mise en place d’espaces numériques de travail. Un des enjeux du développement de ces ENT c’est qu’il apporte aussi des pouvoirs nouveaux. D’une part aux parents pour qui l’école devient plus transparente. D’autre part aux enseignants, invités à la fois à décider des achats pédagogiques et encouragés à la mutualisation.
Dans un numéro récent du Café, Philippe Perrenoud affirmait qu’il « reste à convaincre tous les professeurs que l’organisation du travail devrait être leur affaire, collectivement, au moins à l’échelle de l’établissement et de l’équipe pédagogique ». La décentralisation irait-elle en ce sens ? Si oui, alors ces élections gagneraient en importance pour l’Ecole.
François Jarraud