« La plupart du temps, tout se passe comme si de rien n’était, comme si la question ne se posait pas ou que l’on ne savait pas la nommer, un peu comme une sorte de lapsus ou de trou de mémoire, pour se soulager temporairement du poids de l’histoire. Et puis, soudain, à l’occasion d’événements politiques, d’élections, de crises économiques, sous l’effet de tensions importées et de manifestations de violences réelles ou symboliques, la question ethnique passe sur le devant de la scène, déborde, enflamme les médias et l’opinion ». Dans l’éditorial de ce nouveau numéro de VEI Enjeux consacré à « la discrimination ethnique, réalités et paradoxes », Marie Raynal, situe bien l’irruption brutale de l’ethnicisation dans le débat français. L’actualité immédiate, avec ses obsessions délirantes sur les foulards, les turbans et les « pilosités », en témoigne avec suffisamment de force. Elle justifie amplement ce numéro même s’il est douloureux pour l’école d’aller gratter cette plaie. C’est que « les discriminations ethniques n’épargnent pas l’école, même si là plus qu’ailleurs les stigmates restent cachés ».
Cette affirmation, VEI Enjeux en démontre les fondements. Françoise Lorcerie (Aix) analyse « l’effet outsider », c’est à dire le processus de mise à l’écart, à l’école. Elle analyse les travaux les plus récents sur le sujet. Ainsi le critère ethnique domine les mécanismes de contournement de la carte scolaire et aggrave la polarisation ethnique des établissements. F. Lorcerie cite les travaux de Jean-Pierre Zirotti et Daniel Zimmermann sur le jugement professoral qui confirment l’importance des préjugés ethniques. De son coté, Jean-Paul Payet a mis en lumière dans des collèges lyonnais leur rôle dans les mécanismes d’orientation qui veulent que « les filles « françaises » et les garçons maghrébins (soient) tendanciellement affectés les unes à la division la plus valorisée, les autres aux divisions les moins prisées ». Il nous livre, dans ce numéro, un bilan des travaux en cours depuis 1996, depuis que le tabou de l’ethnicité a été levé : relation entre violence et ethnicité, discriminations sexuelles, racisme entre élèves, racisme de l’institution, ségrégation par l’école etc. Sur ce dernier point, les recherches de Georges Felouzis, Françoise Liot, Joëlle Perroton (Bordeaux II) sur la ségrégation ethnique dans les collèges de l’académie de Bordeaux sont éclairants : la moitié des élèves d’origine maghrébine, africaine ou turque sont regroupés dans 10% des collèges. Pour G. Félouzis, « c’est sans doute (la) « massification » des stratégies d’évitement (des familles) qui crée « en bout de course » les établissements fortement ségrégués ».
Le dernier mot dans ce numéro appartient à Jean Baubérot, président de l’EPHE et titulaire de l’unique chaire de l’enseignement supérieur consacrée à la laïcité. Analysant la situation, il craint « que nous ne soyons dans une période de construction sociale d’ethnicisation ». A cela plusieurs raisons, comme le rapport particulier de la République à l’universel. Elle exige l’adhésion à ces valeurs mais impose en fait de se conformer aux coutumes de la majorité. Face à ce défi, la loi n’est pas la bonne solution. « Au citoyen d’agir » pour que vive vraiment la fraternité.
Ce numéro est le premier produit par la nouvelle rédaction. Dans un entretien accordé au Café, Philippe Perrenoud recommandait aux enseignants « de s’ouvrir davantage aux sciences sociales ». Nul doute que la lecture du numéro 135 de VEI Enjeux leur soit profitable.
http://www.cndp.fr/vei/default.asp?page=/revueVEI/som135.htm
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/2004/2003/analyses_38_accueil.aspx
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