» Tropes » un outil pour l’Histoire-Géographie – Sylviane Tabarly
Quels sont les intérêts pédagogiques de ce type de logiciels et
d’approche en Histoire, Géographie et ECJS ? On peut d’emblée en
proposer quelques uns :
– mettre à distance, de manière objective, des transcriptions et des
textes étudiés dans le cadre des cours ou d’autres activités de classe,
– permettre aux élèves de constater qu’aucun discours n’est innocent
,qu’il a des stratégies qui lui sont propres, qu’il est relatif à une
situation historiquement datée, à un contexte. Mais qu’il est aussi
le résultat d’habitudes mentales, de fondements psychologiques
caractéristiques de leur auteur
– émetteur et des systèmes de valeurs auxquels il se réfère
– rendre l’élève conscient du poids des mots et l’amener à réfléchir
aux notions employées et à leur environnement sémantique.
Comment en assurer la mise en oeuvre pédagogique ?
– une fiche guide de l’activité, sur papier, peut être remise aux
élèves : elle les oriente sur quelques unes des fonctions pertinentes
du logiciel seulement. Ils y relèvent des informations précises.
– dans la perspective d’une étude comparée de textes, ils peuvent
facilement ouvrir différents fichiers textes en utilisant les
possibilités de positionner, après les avoir redimensionnées, les
différentes fenêtres les unes à côté des autres. On peut sans
difficulté en disposer deux (voire trois) côte à côte.
– notons que le logiciel, dans sa version » édition spéciale « , ne
présente aucune difficulté de manipulation et que les élèves peuvent
être rapidement à même de l’utiliser, du simple point de vue
fonctionnel.
Et la mise en oeuvre technique ?
– Si le document est en ligne, il est donc déjà numérisé et il suffit
alors de le convertir au format .txt le cas échéant.
– Sinon, à moins de le saisir manuellement, il faut scanner le texte
et opérer une reconnaissance de caractère (OCR) : l’opération facile,
donne de bons résultats avec les scanners actuels.
Quelques exemples ou pistes d’applications :
Il semble plus particulièrement intéressant de privilégier les
démarches comparatives (mais l’étude d’un seul document peut, bien
entendu, être possible et pertinente aussi).
Voir par exemple un test d’application du logiciel fondé sur l’étude
comparée des appels de De Gaulle et de Pétain en juin 1940 sur le
site de l’académie de Rennes à l’URL :
http://www.ac-rennes.fr/pedagogie/hist_geo/ResInternet/Tropes/Tropes-Application.htm
Et, pour se familiariser avec le vocabulaire de l’analyse sémantique :
http://www.ac-rennes.fr/pedagogie/hist_geo/ResInternet/Tropes/Tropes-Aide.htm
D’autres analyses de discours comparées peuvent être pertinentes.
Ainsi, celles de quatre textes parlementaires contemporains de la
guerre d’Algérie ont pu être retenus et analysés. Ils proviennent de
P. Mendès-France, président du Conseil et F. Mitterrand, ministre de
l’Intérieur le 12 novembre 1954, de M. Debré, premier ministre le 15
janvier 1959 et de De Gaulle le 20 mars 1962. Ils sont cités dans
l’ouvrage : « Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours »
Rassemblés et commentés par Michel Mopin
– Notes et études documentaires – La Documentation française – Paris – 1988.
Les documents sont téléchargeables en ligne à partir de cette url :
http://www.clionautes.org/clio01/TropesCafe/index.htm
Ces textes (issus de débats ou de messages à l’Assemblée nationale)
mettent tous en scène des personnalités de l’exécutif. Ils sont
intéressants autant par ce qu’ils nous disent sur l’évolution des
sensibilités et mentalités à l’égard du conflit que par ce qu’ils
révèlent des modes discursifs de leurs émetteurs.
En voici des aspects. Les « catégories de mots fréquentes » font
apparaître le poids des verbes factifs dans le texte de De Gaulle
(52 % des verbes) alors que dans le texte de François Mitterrand ,
les verbes déclaratifs dominent (32%). Les verbes factifs du texte de
De Gaulle sont reliés sémantiquement aux mots suivants (entre autre)
: confiance, autodétermination, collaboration, nation alors que les
verbes déclaratifs du texte de François Mitterrand renvoient à
révolte, volonté, combat, terrorisme. Dans celui-ci la « modalisation
négation » représente 24 % alors qu’elle apparaît peu (3,8 %)dans le
second où dominent les modalisations de temps (27 %). Et le pronom
« Je » s’y impose très nettement (28,6 %).
On pourrait utiliser de la même manière des corpus sur les questions
de la construction européenne par exemple. Mais ces types de
documents ont l’inconvénient d’être trop courts bien souvent ce qui,
d’une part, ne justifie pas toujours suffisamment l’emploi du
logiciel, d’autre part, n’est pas assez représentatif de l’ensemble
de pratiques discursives et produit des biais statistiques.
Il est donc souhaitable de trouver d’autres corpus. Ainsi, une autre
application peut être proposée à partir de l’utilisation des compte-
rendus analytiques des séances publiques de l’Assemblée Nationale.
Par exemple pour 2000-2001 :
http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001
Prenons le cas du débat autour de la loi sur les discriminations
(séance du 12 octobre 2000) :
http://www.assemblee-nationale.fr/cra/2000-2001/2000101209.asp .
Des études comparées entre les discours de différentes familles
politiques sont pertinentes. Par exemple, si l’on compare les propos
des députés DL et PCF qui ont participé au débat ce jour là, on
constate que leurs « univers de référence », la place et
l’environnement sémantique des différents univers sont bien
différents. L’emploi des modalisations d’intensité est aussi
différent par ses proportions dans les discours (31% contre 40%) et
dans leur usage (voir les graphes de relation). Ce type d’étude peut
être intéressant à travers une réflexion sur les valeurs, les
programmes des différents formations politiques (ECJS ou étude de la
Ve République)
Une analyse parallèle de l’ensemble des propos tenus par les orateurs
RPR et socialistes (respectivement 1340 et 4951 caractères, il faut
donc être prudent pour certaines applications) à l’occasion de ce
débat fait apparaître des données intéressantes. On constate qu’ils
sont assez comparables par la proportion des types de verbes : dans
les deux cas, un peu plus de 50 % factifs, entre 20 et 30 %
déclaratifs et statifs, peu de verbes performatifs. On peut
considérer que c’est le résultat de certains invariants des discours
dans ce type de situation de débat législatif à l’Assemblée
Nationale. Par contre, on observe des différences sensibles sur la
question des modalisations : proportions de l’ordre du simple au
double pour les modalisations de temps, de manière et de négation qui
semblent assez significatives … on peut alors formuler des
hypothèses, proposer des interprétations relatives aux situations
respectives des deux groupes dans un contexte historique donné.
Vous pouvez retrouver le document correspondant à ces propos à partir
de l’image cliquable sur le site des clionautes :
http://www.clionautes.org/clio01/TropesCafe/index.htm
On peut aussi très facilement étudier, dans un texte assez long,
l’emploi d’un mot : par un clic à droite, on a accès à la fonction
« chercher » sur ce mot ce qui permet de le retrouver à travers tout le
document. On pourra alors demander aux élèves de relever toutes les
circonstances d’apparition du mot, ce qui peut donner matière à des
études tout à fait pertinentes. Il est aussi possible d’examiner les
contenus de certains mots référents ( » références utilisées « ). Par
exemple, » entreprise » qui apparaît dans des proportions comparables
dans les deux textes (9 et 11 fois). Dans le cas des propos des
députés du RPR on constate qu’il est constitué des mots : entreprise,
secteur privé, PME. Alors que dans le cas de ceux des députés ou
membre du gouvernement du parti socialiste, il est constitué de :
entreprise, société, délégués du personnel. On peut ainsi mettre en
évidence les stabilités et les discriminations lexicales d’un type de
locuteurs à l’autre.
L’idéal, dans la perspective d’études historiques, serait bien
entendu de pouvoir disposer facilement de corpus comparables à ces
documents contemporains(textes d’au moins 1000 à 1200 caractères)
avec davantage de recul historique.
De la même manière, on peut envisager d’utiliser les débats du Sénat
ou ceux du Parlement européen. Ces derniers sont accessibles en
ligne à partir de :
http://www.europarl.eu.int/home/default_fr.htm
Pour retrouver les noms des Parlementaires et les groupes auxquels ils sont rattachés :
http://wwwdb.europarl.eu.int/ep5/owa/p_meps2.repartition?ilg=FR&iorig=home
Ce qui permet ensuite de retrouver leurs propos en séances plénières :
http://www.europarl.eu.int/plenary/default_fr.htm
à partir de la recherche par orateur :
http://www3.europarl.eu.int/omk/omnsapir.so/searchdeb?ORATEUR=yes&LANGUE=FR
Mais on peut aussi faire une recherche par mots dans le titre.
Certaines fonctions du logiciel semblent par contre moins pertinentes
pour nos disciplines et risquent de provoquer égarement et confusion
: les » épisodes « , les » rafales » par exemple. Mais il faudrait
peut-être se pencher davantage sur leur utilisation.
Sur quels protocoles se fonder et comment sélectionner des corpus
documentaires ? Ce qui pose aussi la question de l’accès à des
sources textuelles numérisées :
Le choix du corpus est une phase fondamentale de la démarche de
préparation pédagogique de cette activité par l’enseignant. Dans la
perspective d’un travail d’analyse de discours politique, on peut
recommander la lecture de ce texte, diffusé dans le cadre des
« Secondes Journées Internationales d’Analyse Statistique de Données
Textuelles (JIADT d’octobre 1993) et consultable en ligne : « Un
protocole de description de discours politique » par Jules Duchastel
et Victor Armony. Prenant appui sur une analyse comparée des discours
de Bill Clinton, Brian Mulroney et Carlos Menem, il pose de manière
pertinente les problèmes méthodologiques
http://www.ling.uqam.ca/sato/publications/bibliographie/Jul10.htm
En conséquence, la collecte de textes exploitables, sous une forme
numérisée est une difficulté non négligeable dans l’utilisation du
logiciel. Il est possible d’utiliser des textes numérisés disponibles
en ligne sur tel ou tel site : quelques uns sont signalés sur le site
de l’académie de Rennes.
http://www.ac-rennes.fr/pedagogie/hist_geo/ResInternet/Tropes/Tropes.htm
Mais notons qu’il est parfois difficile de trouver, en français, les
sources primaires souhaitées. On peut ainsi prendre l’exemple d’une
recherche de textes sur la construction européenne : elle oriente sur
de nombreuses sources en anglais mais peu en français.
La constitution d’une banque de documents, justifiant une analyse
avec Tropes, adaptée aux programmes en lycée, pourrait être utile.
Un autre frein à l’emploi du logiciel au lycée en Histoire ou
Géographie peut provenir du morcellement des textes que les
programmes et les habitudes nous conduisent bien souvent à étudier et
qui sont proposés dans les manuels : petits extraits, souvent coupés
(ce qui rend leur analyse un peu suspecte), sortis de leurs
contextes, juxtaposés. Or, pour que l’analyse sémantique ait une
signification (voir l’information donnée avec le logiciel), il est
souhaitable que les textes soient suffisamment longs afin qu’il y ait
un effet de « lissage » sur les propos tenus par les auteurs (ou
orateurs). De ce point de vue, l’ECJS ou les TPE seraient mieux
adaptés
.
Après avoir signalé ces difficultés, peut-être en partie
temporaires, il apparaît cependant que les intérêts du logiciel sont
suffisants pour justifier l’usage de ce type d’outils.
L’étude empirique et traditionnelle d’un document historique, de
documents socio-politiques contemporains peut bien entendu être
réalisée sans informatique. Mais, dès que le texte devient long, la
collecte, le dénombrement des informations deveniennent fastidieux,
voire dissuasifs. Les études comparées ne sont pas toujours faciles à
mettre en oeuvre. L’outil informatique est donc alors plus qu’un
simple complément à l’analyse classique du document : il permet aussi
de révéler des aspects cachés des textes.
Sylviane Tabarly