Le furieux développement des TIC au cours des cinq années qui viennent de s’écouler a eu au moins un mérite : reposer à leur propos la question de la pédagogie. Qu’est-ce qui est efficace en enseignement, les savoirs, les outils, les humains ? Et d’aucuns d’ajouter, et les élèves qu’est-ce qu’on en fait ?
Dans son ouvrage sur les bons et mauvais/profs et élèves, Jean Houssaye nous a montré que l’histoire de la réflexion sur l’enseignement était oscillante entre le pédagogique et le sociologique. Les recentrages récents observés au ministère ainsi que de nombreux articles parus dans la presse grand public semblent avoir donné le signal : mort à la pédagogie !
Est-ce pour autant que la sociologie est victorieuse ? Pas forcément ! Comment expliquer que, simultanément, les abonnés du café pédagogique se comptent plus de 58000 et les lecteurs occasionnels plus du double chaque mois et que dans le même temps les ouvrages de pédagogie et les revues papier se vendent de moins en moins ? Certes il ne s’agit pas de comparer les contenus mais plutôt d’essayer d’esquisser les traits d’une évolution en cours.
Si l’on tourne le regard du coté des enseignants, interrogeons les sur leur lecture d’ouvrages pédagogiques ou ayant trait à cette question. Il semble bien qu’elle se réduise de plus en plus. Quel substitut à ces lectures jadis plus fréquentées ? Internet ? les grands médias ? On pourrait avancer l’hypothèse concurrentielle : le café est gratuit, les livres pédagogiques coutent fort cher ? On pourrait aussi avancer l’hypothèse des contenus ; les livres traitent de façon parfois compliquée de choses qui sont lointaines alors que le café rend service au plus près du quotidien. On pourrait avancer l’idée de la mode : Fini le livre vive les technologies de l’information et de la communication !
On peut essayer d’analyser les choses en partant de l’hypothèse des besoins. En effet, la vie quotidienne de l’enseignant se trouve malmenée au quotidien. On peut s’en apercevoir aussi bien en passant dans les établissements et dans les classes, qu’en lisant leurs écrits. L’irruption, pour la deuxième fois, des TIC dans leur quotidien est un bon révélateur de ces « mauvais traitements » dont ils s’estiment victime. D’ailleurs les plus virulents détracteurs de la pédagogie s’en prennent aussi aux TIC, mais sur un mode différent et sans aller trop loin. Certes il y a la violence quotidienne dans la classe (mais de quelle violence parle-t-on réellement ?, voir le prochain dossier du café pédagogique), mais il y a aussi une violence culturelle que subissent de plein fouet les enseignants : celle de l’information et de la communication.
Il me semble que les enseignants sont ‘enfin’ en train de découvrir la puissance réelle des TIC. Un collègue ravi de partager son opinion avec d’autres collègues déclarait : « la télé ce n’est pas l’école, tant mieux, quand même ! ». Sa résistance ainsi exprimée légitimement est pourtant un appel à l’aide. D’ailleurs les abonnés et lecteurs du café ne s’y trompent pas, et ils sont nombreux. Ils disent : « emparons nous de ce monde et ne le laissons pas passer sans nous ». Or il se pourrait bien que les « livres savants » qui sont publiés chaque année autour de l’école soient dans un décalage important avec cette évolution et qu’ils deviennent en quelque sorte inaccessibles. Règne de la pensée courte et éphémère introduite par les médias, au détriment de la pensée scientifique inscrite dans la durée de son élaboration ? Il y a donc un écart de plus en plus grand dans la durée entre le processus et le produit.
Prenons la télévision comme exemple. Cette technique lourde et lente à mettre en oeuvre a introduit un nouveau rythme dans l’expression « une idée en 8 secondes » par exemple. Le produit audiovisuel se consomme dans l’éphémère et se construit dans la durée et la pluralité des intervenants, mais rien ne se voit. La compétence « mise en scène » n’a rien à voir avec le travail de la compétence. Le livre donne à voir la construction là où nous ne regardons très souvent que le résultat.
Si les livres et revues consacrées à la pédagogie sont délaissés, il se peut que ce soit entre autre pour une raison de temporalité. Il se peut que cela soit aussi une question de spatialité : dans ma classe ont fait irruption de nouveaux éléments que jusqu’à présent on avait réussi à tenir éloignés de l’école : les élèves en difficulté, des informations incontrôlées, etc…
Le changement de temps et d’espace est probablement la base d’une évolution culturelle qui interroge les enseignants de façon sourde et profonde. L’urgence a remplacé la durée ! Devant ces incertitudes, quel temps consacrer à ma culture pédagogique, à ma culture artistique, à ma culture corporelle ?
Je me sens souvent submergé et ce ne sont pas les pédagogues qui me rassurent actuellement. Leur discours, aussi pertinent soit-il, n’est pas situé dans la même unité de temps que celle de ma classe. Les TIC ont désormais pris place dans l’ensemble de la société et tentent d’imposer actuellement leurs codes. A l’instar de Michel de Certeau, voyons en cette fin d’année 2002, le Café pédagogique comme l’une des manifestations des « arts de faire ». Transformer l’outil en instrument (cf E. Bruillard et G.L. Baron) telle est la tâche à laquelle les enseignants s’affrontent en ce moment. Il faut leur laisser le temps de redonner sa juste place à la pédagogie, car elle répond à de vrais besoins de chaque jour dans la classe et autour.
Bruno Devauchelle
Cepec