« La machine-école », livre de Philippe Meirieu et de Stéphanie le Bars (Le Monde folio actuel 87, Gallimard 2001) peut être lu à plusieurs niveaux. En effet les propos, compilations d’entretiens qui se sont déroulés entre Octobre 2000 et Mai 2001, qui nous sont donnés à lire pourraient prêter à confusion. Entre le règlement de compte, l’analyse politique, la prospective, l’histoire de la pédagogie, cet ouvrage ouvrira des fenêtres pour tous ceux que les tourments du système éducatif intéressent. Certes bien des faits sont connus, mais ce qui caractérise ce livre, c’est que Philippe Meirieu nous permet de le suivre au travers des questions qu’il a eu à affronter au cours des dernières années. Pour mieux comprendre le propos, la séparation des niveaux s’impose.
Passer de la posture d’universitaire (d’esthète ?) à celle d’acteur politique n’est pas simple à vivre. Si l’on s’en tient au niveau de la polémique, le petit monde y retrouvera ses règlements de comptes en tous sens. De nombreuses fois le sentiment de trahison et d’incompréhension traverse les propos. Les spécialistes du « milieu » regretteront de nombreuses approximations dans certains faits relatés et une absence marquante des autres. En effet ce qui marque le style de cet ouvrage, c’est l’absence quasi totale des Autres, en quelque sorte l’expression d’une solitude.
La dimension historique de cet ouvrage permettra à ceux que la lecture des textes fondateurs rebute de brosser rapidement les constances dans les propos pédagogiques des grands innovateurs (l’auteur compris). On pourra aussi y lire l’histoire d’une résistance. L’exemple d’Alain Savary est assez révélateur. Une démarche politique, bien dans l’air du temps des pédagogues s’est pourtant heurtée à des résistances insoupçonnées. Tout comme Louis Legrand et le tutorat qui jadis tentait d’introduire une autre façon de vivre l’école et qui lui aussi a du prendre en compte la résistance. L’impression qui prévaut est aussi celle de la difficulté de Philippe Meirieu, dans la même situation.
La dimension pédagogique de cet ouvrage pourra décevoir beaucoup d’innovateurs et de chercheurs. En effet comment reconnaître la force de l’innovation au travers d’une analyse aussi marquée par la difficulté à mettre en route le changement. L’exemple de la consultation des lycéens en 1998 est assez largement présent dans cet ouvrage pour ne pas être évoquée. Argument fort de l’auteur, comment en arrive-t-on à permettre une parole aussi riche pour ne pas en tenir compte.
Et pourtant, la dimension prospective, certes très modeste peut se traduire au travers de ce rapprochement de Philippe Meirieu avec Jack Lang, après pourtant une opposition radicale au sujet de l’INRP. En effet la nomination de l’auteur à l’IUFM de Lyon est bien la marque d’un rapprochement qui laisse entendre que le travail accompli entre 1997 et 2000 n’est pas resté lettre morte. Probablement n’avait-il pas le sceaux du politiquement acceptable, et pourtant, l’exemple des débats pour le collège au printemps 2001 le montre, de même que le maintien des TPE, malgré quelques hésitations, la ligne reste fondamentalement la même, c’est la méthode qui change….
Enfin pour mettre en perspective avec notre travail cet ouvrage, la place des TIC est évoquée à plusieurs reprises dans cet ouvrage. C’est particulièrement dans le chapitre « réforme et contre réforme » (p.139 et suivantes) que l’on peut lire que les TIC sont les compagnons de la réforme, mais plus encore du questionnement fait à l’école aussi bien par les jeunes (les jeux vidéos) les parents (le soutien scolaire) que les enseignants (de nouveaux apprentissages). De sa méfiance, déjà affirmée depuis longtemps d’une aliénation de l’école au monde de la consommation par le biais des TIC, Philippe Meirieu déplace plus globalement le problème vers la capacité du système éducatif à se ressaisir de ses finalités, sérieusement bousculées dans leur tradition par les nouvelles modalités de la vie en société. Il tranche le débat en radicalisant le débat entre marchands libéraux et républicains égalitaristes.
Et c’est là que l’essai touche à sa limite, en fait, la dimension réellement prospective (au sens donné à ce terme par Michel Godet et Jacques Lesourne) est absente. On a pu saisir à des moments un élan mais ce n’était pas une véritable prospective, mais plutôt un repli « Je reste avant tout ‘pédagogue’. Cherchant à comprendre ce qui se joue dans l’acte éducatif et à aider ceux qui se coltinent l’éducation des élèves aux quotidiens » (p.241), Philippe Meirieu nous avoue au moins ne pas désespérer de lui-même… ou plutôt « de nous-mêmes ».
Bruno Devauchelle
Cepec
Philippe Meirieu, Stéphanie le Bars
« La machine-école »,
Le Monde folio actuel 87, Gallimard 2001