Jackie Pousin fait partie de ces rares enseignants qui animent une réelle classe virtuelle. Le Café l’a découvert à travers une expérience concluante d’utilisation du t’chat en ECJS (éducation civique, juridique et sociale). Une visite de son site « Histoire-géographie à Raoul Vadepied » donne une vue directe sur le cours, les exercices commencés, les documents utilisés etc. A ces informations sont associés les outils de communications préférés des ados : chat, ICQ. Et ces outils servent réellement pour suivre les travaux des lycéens et les aider à améliorer leurs résultats.
FJ- De « Raoul Vadepied » au « t’chat en ecjs », vos sites sont autant de passerelles vers les élèves. A quoi ça sert ? Pourquoi ne pas vous en tenir aux modes de communication bien rodés de l’école ?
JP- Il y a des raisons techniques. Comment faites vous pour transmettre une url à vos élèves ? Vous dictez l’adresse ? Vous l’écrivez au tableau ? Vous l’envoyez par SMS ? Tout le monde sait que la moindre erreur de saisie est fatale… Or un simple mel avec un lien actif et d’un clic l’élève se retrouve sur le site indiqué… La sollicitation est forte. Avec un peu d’organisation, l’envoi de tels courriers est tout à fait possible ! Et puis j’essaie d’inscrire l’histoire – géographie dans le monde contemporain. Je veux également inscrire l’utilisation du courrier électronique dans un usage scolaire et pas seulement ludique. Enfin des motivations d’ordre civique peuvent être évoquées : je n’admets pas que des lycéens puissent sortir du lycée sans savoir faire une recherche pertinente sur le web, sans savoir faire quelques pages web, utiliser efficacement les nouveaux modes de communication et d’échange. Pour savoir s’exprimer sur l’agora publique qu’est le web en connaître les usages et les coutumes….Pour relativiser le média, il faut que les élèves publient aussi….
FJ- Prenons l’exemple du t’chat en ECJS. Est-ce efficace ?
JP- La plupart des élèves pratiquent et c’est même pour eux un vecteur majeur d’information. Ils s’y retrouvent avec leur code et leur langage. On peut détourner le t’chat au bénéfice de l’expression personnelle de chacun tant en ECJS qu’en français. Quelle est la situation observée habituellement lors de débats en ecjs ou lors d’un cours traditionnel ? La parole est monopolisée soit par quelques élèves soit par le prof. Le t’chat, avec des règles précises, permet non seulement à chacun de s’exprimer mais en plus de revenir sur les déclarations de chacun ( puisqu’il est possible d’enregistrer ce que chacun à écrit) . Ce travail de réécriture est important : il autorise le droit à l’erreur ( je corrige mes fautes de frappe, je précise ma pensée, j’approfondis mon argumentaire, j’indique mes sources…). C’est à la fin de ce processus que l’on valide l’échange et que l’on peut sauvegarder le travail.
J’ai toujours été confronté lors de débats en ecjs à la difficulté de réussir des relevés de conclusion. Les échanges sont parfois vifs, rapides. A la fin de l’heure, il reste peu de choses…les secrétaires ne peuvent tout noter, on perd parfois la trame de ce qui a été dit.
En salle info, les élèves doivent par la contrainte de la saisie sur clavier mieux maîtriser leur expression. Ils savent que leur déclaration écrite aura plus de conséquences que leurs parole vites prononcées. Bref je cherche à la fois à théâtraliser par la mise en scène des débats et à officialiser les échanges. Les expériences menées montrent que cela fonctionne plutôt bien. Une collègue de français trouve même l’expérience suffisamment probante pour l’appliquer à des exercices d’écriture collective…
FJ- Dans le système éducatif français, les relations avec les parents sont distantes. Par exemple, les profs ne donnent pas leur numéro de téléphone. Voyez vous un avenir pour ce genre de service qui tend à rapprocher les parents et les enseignants. ?
JP- Mon expérience montre que les parents ne sont pas prêts à ce type d’échanges. Cependant je préfère donner mon mel que mon numéro de téléphone, ce dernier est plus intrusif dans la vie privée. Il est difficile de ne pas décrocher un appel téléphonique alors que je réponds à mon courrier électronique quand je le souhaite et d’où je veux. Je pense donc que les échanges par mel sont tout à fait envisageables entre parents et élèves dans l’avenir proche (ENT).
FJ- Comment articulez-vous ces outils avec la vie de classe ?
JP- Dans ma pratique de classe, je distingue trois situations spécifiques :
– l’élève recherche de l’information sur le web ou sur cédérom : il s’agit de répondre à une problématique de départ en faisant le tri, en hiérarchisant les informations afin de répondre à un questionnement.
– l’élève consulte en autonomie un hypermédia ( documents multimédias reliés par des liens de navigation) dans le but d’approfondir des notions.
– l’élève produit des cartes, des statistiques, des textes de synthèse en utilisant les outils bureautiques ou des logiciels spécialisés.
L’ordinateur apparaît alors comme un formidable révélateur des talents mais aussi des difficultés des élèves. Le travail en autonomie accompagnée me permet d’intervenir de manière individualisée et de proposer des remédiations efficaces. Les productions personnelles stockées sur le réseau permettent une bonne maîtrise des apprentissages : l’élève reprend son travail pour l’améliorer. Les échanges entre élèves sont favorisés : l’entraide est permanente. Chaque élève travaille à son rythme et apprécie ces moments de travail.
Je constate une amélioration :
– de la quantité de travail fournie par chaque élève ( tous les élèves sont en activité lors des séances informatiques)
– de la qualité d’attention et de concentration : incomparable par rapport au cours traditionnel.
Les outils numériques permettent le droit à l’erreur ( l’élève peut corriger ses fautes ou celles du voisin, sans conséquence, le travail rendu est propre) ; favorisent l’expérimentation, la simulation. Le réseau permet le travail à distance : je peux surveiller l’évolution d’un travail sans être présent dans la salle, intervenir par le biais d’échanges électroniques. Ce travail se poursuit en dehors du temps classe et de la présence physique du professeur : je suis donc à la fois très présent, disponible, et pourtant dans une attitude distante.
La mémorisation par l’outil me permet d’être plus efficace dans mes diagnostics. Pourquoi un élève n’a t-il pas réussi un exercice donné ? L’observation de ses fichiers de travail , du cache de son navigateur, des requêtes entrées dans les moteurs de recherche favorisent la compréhension des blocages. La maîtrise des apprentissages est ainsi favorisée : je ne juge pas de manière définitive un résultat, mes observations conduisent l’élève à modifier ses pratiques puisque l’ordinateur est perçu comme un média d’une parfaite neutralité. D’autre part, j’observe chaque jour une émulation d’autant plus forte que les productions individuelles sont consultables par tous sur le réseau interne…
FJ- Certains pourraient dire que tout cela c’est du travail en plus non reconnu par l’institution. Que leur répondriez vous ? Est ce pour cela que Raoul Vadepied semble s’arrêter (ou est il remis a zéro chaque année ?)
JP- Ce type de travail n’est effectivement pas reconnu par l’institution qui ne reconnaît que le temps de travail devant la classe. Je ne sais pas ce que l’avenir réserve mais je crois qu’une évolution des statuts est nécessaire.
Pourquoi accepter que des sociétés privées offrent moyennant finances une aide à la réalisation de devoirs, des corrigés quelques minutes après les épreuves du bac etc… alors que le service public limite l’aide des professeurs aux heures d’ouverture des établissements scolaires ?
De bonnes questions surgissent aussi le soir lors du travail personnel à la maison… les échanges asynchones permettent de répondre à son rythme sans menacer pour autant l’équilibre personnel. Je note aussi une évolution : l’essor de l’adsl fait que beaucoup d’élèves sont connectés en permanence chez eux, et sans se déplacer se partagent les tâches demandées, le prof est alors bien démuni pour savoir qui a fait quoi dans un devoir à la maison…
FJ- Vous vous intéressez également au travail à distance entre enseignants ?
JP- J’anime une équipe de professeurs pour un travail collaboratif à distance dans le cadre de l’iufm. Suite à deux années de réflexion commune sur l’évaluation de productions hypermédia en HG, une équipe de professeurs de l’académie de Nantes a décidé de continuer à travailler ensemble en mettant à profit les possibilités d’échanges numériques. Nous essayons de produire ensemble une séance de cours en nous appuyant sur la plate-forme de travail collaboratif Quickplace mise en place par le rectorat et sur une liste de diffusion interne. Des séances d’échanges synchrones sont prévues pour relancer la dynamique de groupe. Nous essaierons donc d’avoir un regard critique sur cette pratique.
FJ- L’ENT devrait généraliser des pratiques comme la votre. Pensez vous cela souhaitable ?
JP- Oui assurément. D’abord parce que le web n’offre plus guère les outils gratuits qu’il offrait encore hier. J’ai cette année plus de difficulté que l’an dernier à faire fonctionner mes listes de diffusion. Des service gratuits deviennent payants ou alors la qualité diminue. D’autre part, je suis favorable à la transparence en matière d’éducation et l’ENT me semble aller dans la bonne voie. Afficher les notes des élèves, les jours de devoirs , les informations diverses sur le site de l’établissement me semble être un progrès. Pour beaucoup de parents, la vie de leurs enfants à l’intérieur d’un lycée reste opaque. Les rumeurs nombreuses… C’est cependant une exigence forte, car l’exposition de ses pratiques personnelles est difficile et peut être douloureuse. Mais par ailleurs chacun sait que tout finit par se savoir dans un établissement… Cela pose la question de la redéfinition de la mission des enseignants, de la modification des locaux, de la circulation de l’information, des responsabilités de chacun… Utopie ou foi dans les principes fondamentaux de la vie en collectivité ?
Jackie Pousin
Professeur d’histoire-géographie, IANTE HG, membre de l’équipe du serveur académique de Nantes
Sites personnels :
http://raoul.vadepied.free.fr/
http://jpousin.free.fr/
http://www.webzinemaker.com/vadepied/
http://membres.lycos.fr/vadepied/
http://ticehg.free.fr/accueil.htm
http://www.ac-nantes.fr/peda/disc/histgeo/default.htm