La presse s’est fait l’écho du rapport de la mission Kriegel, disponible sur le site du ministère de la culture http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/aillagon/rapportBK.pdf .
Intitulé : « La violence à la télévision », ce rapport est en réalité essentiellement centré sur l’effet de la violence télévisuelle sur les enfants. Ce parti pris n’est pas sans poser de problème. En effet le rapport fait une très large part à l’impact de la violence sur les jeunes, laissant à penser que les adultes ne sont pas marqués par l’impact des violences télévisuelles. Il suffit de se pencher sur la consommation de certains adultes pour se rendre compte qu’il y a là aussi un vértitable problème que nous, les adultes, nous empressons souvent de mettre de coté.
En tant qu’adulte, je ne peux que m’élever contre l’idée que les adultes ne soient pas fortement marqués par la violence télévisuelle. Certes cela n’est pas dit dans le rapport, mais l’extrême centration du rapport sur les enfants met largement dans l’ombre l’autre aspect du problème… C’est à dire la vision que les adultes donnent de leur société au travers de leurs comportements entre autres télévisuels. Certes il était temps de regarder de près, sur un plan politique la question, mais il aurait été aussi intéressant de regarder de plus près les comportements des adultes, en général, et de se poser la question de l’image qu’ils construisent chez les jeunes. Que peuvent penser les jeunes d’adultes qui attendent 22h30 pour regarder des spectacles violents et pornographiques ? Comment imaginer que se construise une réelle confiance entre des adultes et des jeunes si les premiers « se cachent » pour voir ces dérives, et surtout si les jeunes le découvrent subrepticement (ce qu’ils ne manqueront pas de faire… ).
D’une part on refuse de voir l’impact de la télévision chez les adultes, d’autre part on veut adopter une attitude de contournement pour cacher à nos enfants nos travers,
Dans ce premier extrait l’école se trouve présentée comme ayant une position ambiguë entre télévision, violence et jeunes. La mise en cause de la théorie de la violence institutionnelle, comme écran à la vision de la réalité semble une piste à débat. Malheureusement l’explication fournie ici semble assez sommaire.
« Depuis les années 60, le terrain de la violence à l’école, sur le plan théorique, a été occupé par une littérature qui mettait en avant une violence de l’institution, et expliquait la violence des jeunes comme une réaction à cette première violence ; la contrainte liée aux apprentissages ou aux comportements a été interprétée comme une normalisation, sans parler de la violence symbolique chez Bourdieu. Tout ceci a pu être pertinent mais s’est transformé en obstacle épistémologique. L’école a donc été récemment très démunie devant l’augmentation de la violence, elle ne représente sans doute qu’un aspect d’une indifférence plus générale envers ce que les jeunes vivent effectivement. Dans ces conditions, la télévision, bien que fréquemment accusée de provoquer cette violence, a été paradoxalement tolérée dans ses excès. D’un point de vue éducatif, et à l’école en particulier, la télévision a été considérée comme un élément parmi d’autres d’un environnement difficile, une violence de plus, à laquelle l’enfant est censé pourvoir faire face ».
Définir ce que l’on appelle violence était une nécessité pour ce travail. Les auteurs nous proposent celle-ci qui est difficilement accessible au commun des mortels et qui demanderait des explications et surtout des exemples « limites » : « Nous proposons donc la définition suivante de la violence : la force déréglée qui porte atteinte à l’intégrité physique ou psychique, pour mettre en cause, dans un but de domination ou de destruction, l’humanité de l’individu ».
Ce beau sujet de philosophie mériterait une bien plus grande explication, ou en tout cas de faire débat dans les groupes amenés à être confrontés à ce qu’ils appellent de la violence. En effet les auteurs ont choisi de proposer cette définition comme point de repère pour leur travail, et pas comme théorie définitive ce qui en fait un outil pour tous.
Montrer l’exemple semble être le propos sous jacent à ces propositions. En effet il faut chercher une alternative, selon les auteurs, qui soit suffisamment crédible pour attirer les jeunes. Comment de tels programmes peuvent rivaliser avec d’autres approches beaucoup plus « attirantes » ? Ne faudrait-il pas partir des analyses des émissions existantes pour aborder ce qui en fait le caractére violent : regardons « Le maillon faible », « Koh Lanta », ou encore l’émission « C’est mon choix ». Quelles valeurs construisent ces émissions. Comment pourrait-on les faire évoluer vers d’autres valeurs, que la sélection, la concurrence, l’exhibition, érigés en modèles de vie en groupe… et en société. ?
Quant au développement de la lecture critique de l’image, et l’éducation à l’image, on peut se poser de réelles questions. En effet ces éléments existent dans les programmes de l’enseignement du français au collège entre autres… Or quel effet observe-t-on ?
« Un large volet éducatif comprenant des émissions de promotion à une culture de respect d’autrui et de dépassement la violence doivent être diffusées sous la responsabilité des chaînes et doivent faire partie de leur cahier des charges.
– Des émissions éducatives de ce type doivent être diffusées en priorité dans les tranches
horaires des programmes pour la jeunesse, en particulier par les chaînes publiques.
– Un programme éducatif à l’apprentissage de la lecture critique de l’image doit être élaboré conjointement par des éducateurs et des réalisateurs.
– La Commission recommande que la production télévisuelle et les auteurs relèvent le défi de proposer des émissions de fiction ou d’information qui les entraîne à la citoyenneté et à la vie démocratique.
– L’Education Nationale doit généraliser l’éducation à l’image déjà engagée par des institutions telles que le CLEMI ou le CNDP ».
Le dernier extrait de ce document n’est pas sans poser de questions. C’est aux enseignants (instituteurs ???) de prendre en charge l’éducation des parents. Il suffit d’intervenir devant des groupes d’enseignants pour comprendre qu’ils ont en premier lieu un immense besoin de travailler cette question sur laquelle ils sont très démunis, en tant qu’adulte et aussi que parents… Quant au médecin de famille, on s’étonne de les retrouver ici (les enseignants, les médecins sont les derniers survivants d’une caste qui comprenait aussi jadis les prêtres et les secrétaires de mairie). Le rapport ferait donc appel avec une telle naïveté à ces personnes dont on connaît de mieux en mieux leurs propres besoins d’aide et de formation….
« Une action en direction des parents devraient d’abord se donner pour but de les amener à surveiller et encadrer la consommation audiovisuelle de leurs enfants. Elle devrait aussi les convaincre de procéder avec tact, faute de quoi leur action créerait plus de conflit qu’elle n’en résoudrait.
Les instituteurs et professeurs des écoles ainsi que les professeurs principaux des collèges et lycées, peuvent tout à fait se voir charger d’une telle mission.
Les médecins de famille sont l’autre voie d’autorité (scientifique elle aussi) écoutée par les parents. Lors d’une consultation, le médecin peut tout à fait s’enquérir de la consommation télévisuelle des enfants et offrir des conseils appropriés ».
Le ministre de l’intérieur se défend d’instaurer un ordre moral, mais d’autres souhaitent, comme Liliane Lurçat, qu’il soit restauré. On voit apparaître ici les traces de cet ordre moral en faisant appel aux castes de la société qui seraient censées être les détentrices de cet ordre (les deux autres se sont disloquées au cours des dernières années). C’est mal connaître l’impact de la télévision sur les adultes que de faire ces constats et ces propositions.
Les auteurs de ce rapport sont pourtant courageux et méritent d’être lus. On ne peut que saluer le courage d’engager le débat. On regrettera simplement que le parti pris ici est parfois trop approximatif, et qu’il évacue vers l’école une charge nouvelle (l’instruction morale des parents). On regrettera aussi que le rapport ait été trop marqué par une vision déterministe de l’éducation du jeune enfant et idéaliste de l’enfance mettant de coté des pistes de travail comme celles sur la résilience, celles sur l’éthique collective des adultes ( et pourquoi pas des politiques) et d’autres encore. Le travail engagé peut se poursuivre par de nombreuses lectures récentes qui parlent de la violence de la télévision et plus largement de l’impact de la télévision sur les jeunes.
On pourra aussi aller voir le filme de Michael Moore, Bowling Columbine pour essayer de comprendre qu’au delà d’un pamphlet anti-américain le cinéaste nous montre que ce sont bien les adultes qui posent problème.
Bruno Devauchelle
Cepec