« La manipulation des enfants. Nos enfants face à la violence des images » dernier ouvrage publié par les éditions du Rocher (Paris 2002) sous la signature de Liliane Lurçat est d’une rare violence, à la hauteur de celle qu’elle dénonce.
Cet essai de 206 pages ne peut qu’inquiéter le lecteur. Rien ne trouve grâce aux yeux de l’auteur autre que la morale et les classiques à transmettre. Les médias, la télévision en premier lieu mais aussi Internet sont systématiquement rejetés, mis sur le banc des accusés dans une cour d’assise dont elle s’érige en seul juge, (oubliant d’ailleurs les jurés). Les pages de cet ouvrage rappelle les propos que tiennent certaines personnes agées que l’on a connues dans son enfance. Ce grand père citant des vers de Racine ou cet autre déclamant Baudelaire… et regrettant que l’on ne fasse plus apprendre le théâtre classique par coeur dans les écoles. Bref, cette lecture ressemble étrangement au discours du conflit des générations reconduit au fur et à mesure du temps.
L. Lurçat appelle au retour de la morale et s’appuie sur Durkheim. Elle s’appuie sur la psychologie de H. Wallon pour mettre en évidence les méfaits de la télévision sur le développement. Mais la jusitification des assertions qu’elle tient dans ce livre n’est autre qu’idéologique En fait le propos tenu dans ce livre doit davantage être lu comme un symptôme. En effet L. Lurçat, qui a mené de nombreuses recherches sur la télévision et l’enfance au cours de sa carrière, dresse finalement un bilan très déprimé de ce à quoi elle a « assisté ». On a l’impression que ce texte est le révélateur d’une impossibilité qu’a eu la génération de l’auteur à maîtriser ce qu’ils ont promu dans la société, en particulier au moment des Trente glorieuses. Tout porte à croire que la violence de l’essai vise à nous aider à aller plus loin, mais la lecture nous propose seulement un « repli ».. En effet le lecteur ne trouvera que le retour à un passé « imaginé » à une sorte de pureté originelle comme proposition. Certains y trouveront leur compte (ils s’expriment souvent sur les plateaux de télévision en ce moment) mais beaucoup liront ce livre comme le moyen de se déresponsabiliser vis à vis des médias et d’Internet (autre cible désignée).
Citons ici quelques passages significatifs de la charge. Elle parle de « porosité de l’école aux influences des manipulateurs professionnels ». Elle écrit : « Les médias exercent une véritable séduction sur l’école qu’ils influencent déraisonnablement » (p.193). Et aussi « L’image de notre civilisation, telle que l’école et les médias la caricaturent, devient un repoussoir, déstabilisant nos certitudes et déligitimant la nécessité même de transmettre le monde » . Citons aussi cette phrase (p 187) : » Après avoir remarqué qu’Internet est une « véritable poubelle » on en fait un passage obligé pour tous les écoliers ». Puis plus loin « les méchants loups pénètrent dans la bergerie familiale par une voie royale ».
Bref pour l’auteur l’école cherche à ressembler aux médias et se laisse manipuler, comme les enfants qu’elle accueille. Elle propose donc un retour à une école de la connaissance et de l’effort qui se ferait dans le cadre « d’activités contrôlées ». Remarquons pour terminer cette idée qui est une question : la société de consomation peut-elle générer une éducation qui permette de mettre à distance les excès qu’elle provoque ? A cette question l’auteur répond : non.
On regrettera une nouvelle fois ici la qualité méthodologique du propos. Il n’est pas rare de trouver dans cet essai des allusions (apprendre à apprendre par exemple) à des courants de recherche pédagogique dont les travaux sont totalement tronqués. Il est dommage qu’un chercheur utilise lui même les ficelles qu’il dénonce…
Bruno Devauchelle
Cepec