Six mois de prison pour « traiter » un prof
L’Assemblée nationale a adopté
définitivement le 3 août la loi sur la justice. On
le sait, celle-ci crée des centres éducatifs
fermés pour les mineurs, instaure des sanctions pour les
10-13 ans et facilite la détention des 13-18 ans. Mais le
projet de loi a été durci par deux amendements
déposés par la majorité.
Un premier amendement punit de 6 mois de prison et de 7500 euros
d’amende les outrages adressés à un membre de
l’équipe éducative quand il est commis dans un
établissement scolaire ou à l’occasion des
entrées et sorties des élèves.
Un second amendement permet la suspension des allocations
familiales quand un mineur est placé en centre de
éducatif fermé. Ainsi est crée une « sanction
familiale ». Pour l’éditorial du Monde du 3 août
« il ne s’agit pas de justice, mais
d’idéologie ».
http://www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/programmation-justice.asp
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3208–286568-,00.html
Courte justice pour tous, maigre justice pour les mineurs
Le projet de loi sur la justice, présenté au
conseil des ministres du 17 juillet, accorde des droits nouveaux
aux victimes et des moyens supplémentaires à une
administration qui en a bien besoin. Mais ce projet contient des
mesures qui soulèvent dès maintenant les
réserves de nombreuses institutions, dont la Commission
nationale consultative des Droits de l’Homme.
La CNCDH souligne l’affaiblissement du pouvoir judiciaire permis
par ce texte. D’une part le projet créé, pour les
« petits » délits, des « juges de proximité »
temporaires qui n’auront ni la compétence, ni
l’indépendance que le justiciable est en droit d’attendre
d’un état de droit. Dans cette perspective, la CNCDH
estime « beaucoup plus contestable encore, l’attribution aux
juges de proximité.. d’une compétence pénale
à l’égard des mineurs de 13 à 18 ans.. Elle
estime grave et injustifiée cette remise en cause d’un
principe essentiel de l’ordonnance du 2 février 1945
relative à l’enfance délinquante, celui de la
spécialisation de la justice des mineurs, principe qu’a
ultérieurement consacré la Convention
internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la
France ». D’autre part le projet de loi facilite et allonge la
détention provisoire. Il renforce le rôle du
procureur de la République en rendant son appel suspensif
de la remise en liberté d’un détenu. Il
étend la comparution immédiate à de
nombreuses infractions, ce qui n’est pas une garantie de bonne
justice.
S’agissant des mineurs, le projet de loi crée des « centres
éducatifs fermés » pour les mineurs dès
l’âge de 13 ans, des « sanctions éducatives »
dès l’âge de 10 ans et donne la possibilité
au procureur de traduire devant le tribunal dans un court
délai (moins d’un mois) certains mineurs. Or on voit mal
comment la privation de liberté pourrait permettre
l’insertion et l’éducation de ces jeunes. Certes les
procédures actuelles ont semblé parfois
inadéquates pour faire face à certaines formes de
délinquance juvénile. Ainsi un récent
numéro de VEI Enjeux signalait le cas des
délinquantes mineures (S. Lefrançois, n°128,
pp136 sqq.). Mais le texte gouvernemental en arrive à
remettre en question l’approche humaniste, républicaine
qui voit en l’enfant un justiciable ayant droit à des
garanties supérieures et un être éducable.
C’est cette perception de l’enfant qui est mise en danger par le
texte.
Ainsi la FCPE, Amnesty, la Ligue des Droits de l’Homme, le MRAP,
plusieurs syndicats d’enseignants et de nombreuses autres
organisations, soulignent que « les seules réponses
proposées aux jeunes en difficulté passent par des
mesures pénales qui permettent d’enchaîner une
sanction pénale dès l’âge de 10 ans, un
placement sanction dans un établissement, un placement en
centre fermé, la détention provisoire à
partir de 13 ans et enfin la condamnation à une peine de
prison. Dans ce dispositif, la prise en charge éducative
n’a plus de place et sa légitimité est
profondément attaquée.. C’est l’enfance qui est
niée à travers la pénalisation dès
l’âge de 10 ans. C’est l’ensemble des enfants, susceptibles
un jour ou l’autre d’un écart de comportement, qui
pourront être sanctionnés. Mais c’est aussi la
jeunesse issue des couches sociales les plus
défavorisées et de l’immigration qui sera la
première victime de ce projet ». Elles s’opposent
à ce projet de loi.
http://www.justice.gouv.fr/presse/loiprogsomm.htm
http://www.commission-droits-homme.fr/binTravaux/AffichageAvis.cfm?IDAVIS=670&iClasse=1
http://www.fcpe.asso.fr/article.aspx?id=145
Loi symbolique ou apparence de loi ?
L’amendement à la loi Perben punissant de 6 mois de prison
ou 7500 euros d’amende un outrage à un enseignant
soulève de nombreuses oppositions.
Ainsi la Confédération syndicale des familles
dénonce « des mesures (qui) conduisent à une
criminalisation des familles ». Des réactions
similaires se font entendre du coté des syndicats
enseignants. L’UNSA-Education dénonce « une vision
étriquée du problème tendant à faire
penser que la violence n’est pas un phénomène
social mais un problème individuel ». La FSU parle »
d’effet d’affichage » disproportionné. Pour
François Dubet, sociologue spécialiste de la
violence scolaire, interrogé par Le Monde du 6 août,
la menace d’emprisonnement « ne changera pas grand-chose au
comportement des élèves (ou des parents) et mettra
les profs dans l’embarras. Si l’une de leurs plaintes conduit un
gosse de 13 ans en prison, comment croyez-vous qu’ils
réagiront ? Criminaliser les gamins des quartiers et
judiciariser l’espace scolaire ne sont pas des solutions.
Aujourd’hui, on ne règle plus les conflits au sein de la
communauté pédagogique, on appelle le procureur. Si
l’on s’engage davantage sur cette voie, les profs devront
bientôt gérer, en plus de leurs propres plaintes,
les accusations des parents ».
Dans le même quotidien, Jean-Marie Colombani dénonce
la « lepénisation de nos lois » : « Toute notre
philosophie du droit et de la justice est ébranlée
en son socle, à la fois d’inspiration démocratique,
de philosophie libérale et d’ambition humaniste. Si
l’enfant faute, c’est donc que la famille est coupable : plus
d’excuse sociale, plus de contexte économique, plus
d’environnement culturel. L’enfant criminel est l’enfant mal
éduqué. La société, l’histoire,
l’inégalité, les héritages, etc., n’y ont
aucune part : c’est la faute aux parents… Quant au rapport
pédagogique, il tombe sous le sens – le bon sens – que
c’est un rapport à l’ordre et à la loi : non pas
une relation d’éducation et de formation, mais le
même type de contrat que celui qu’entretient le justiciable
avec les gardiens de l’ordre en uniforme, policiers ou gendarmes.
Politique familiale, droits de la défense, relation
pédagogique : en trois dispositions, c’est toute une
nouvelle philosophie sociale qui s’affiche
Au lieu de combattre le Front national, on donne droit de
cité à ses idées. De la « lepénisation
des esprits », dénoncée par Robert Badinter, nous
voilà passés à la lepénisation de nos
lois ».
Interrogé par Le Point, le 9 août, Xavier Darcos
assure que « Cette mesure est un signe donné au
personnel enseignant par les parlementaires. Il est bon de
rappeler que le professeur est investi d’une autorité, due
à son savoir, mais qu’il est aussi porteur d’une part de
l’autorité de la République… Cette sanction a
surtout une valeur symbolique ». A peine née,
voilà une mesure de justice rangée dans le domaine
du symbolique. « Symbolique : qui n’a que l’apparence, mais non la
réalité » nous dit le dictionnaire…
http://actu.voila.fr/Depeche/depeche_emploi_020807145408.oz4dxnvq.html
La CSF, AFP / Voila
http://www.letelegramme.com/index.cfm?page=telegdisplay&class=articletelegramme&method=affiche_entier&object=20020806_010b070400_4808706
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3224–286694-,00.html
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3232–286723-,00.html
http://www.lepoint.fr/societe/document.html?did=105954
Absentéisme : faut-il punir les familles ?
La décision du ministre de l’intérieur, le 10
juillet, de soumettre à des « sanctions aggravées »
les parents qui ne respectent pas l’obligation scolaire de leurs
enfants, afin de lutter contre la délinquance, suscite
réactions et commentaires. Le ministre
délégué à la famille, C. Jacob, le 11
juillet, proposait la création d’une amende parentale :
« L’intérêt de l’amende parentale, c’est qu’elle
fait intervenir la justice. Il y a quand même une
différence entre l’avertissement de la caisse
d’allocations familiales ou de l’inspection académique, et
la convocation par un juge ». X. Darcos, ministre
délégué à l’enseignement scolaire,
minimise la mesure annoncée : » (elle) rappelle des
dispositions qui existent déjà en ce qui concerne
l’absentéisme scolaire et incite à les appliquer ou
à les renforcer… Ce n’est pas un texte à
caractère pénal, mais à caractère
réglementaire. Ce sera à l’ordre judiciaire de voir
s’il faut par la suite fournir aux proviseurs
d’établissements les moyens juridiques de faire des
signalements qui soient suivis d’effet ». Pour la FCPE,
« prétendre résoudre les problèmes de
l’absentéisme scolaire en pénalisant un peu plus
les familles révèle une méconnaissance
totale, à la fois du problème de
l’absentéisme et de la situation des familles en
difficulté ».
Libération du 11 juillet donnait la parole au sociologue
Hugues Lagrange pour qui l’absentéisme est lié
« à des altérations graves du cadre de vie et
spécialement des relations familles ». Le quotidien
estimait à 100.000 élèves le nombre de
« décrocheurs ». A l’occasion de la 6ème Biennale de
l’éducation et de la formation, la région
Ile-de-France estimait à 15.000 le nombre de
décrocheurs franciliens. Plusieurs dispositifs, par
exemple le Lycée intégral, proposaient des pistes
sérieuses pour réintégrer les
élèves en perdition. Mais ces structures
n’accueillent que quelques dizaines d’élèves ce qui
semble bien insuffisant.
http://actu.voila.fr/Depeche/depeche_emploi_020710153427.g13psdtg.html
Dépêche AFP Voila
http://actu.voila.fr/Depeche/depeche_emploi_020711075753.1pzc763b.html
http://www.fcpe.asso.fr/article.aspx?id=141
http://www.ac-versailles.fr/pedagogi/rvp/HTML/abandonscolaire.htm
http://www2.ac-lille.fr/reussite-lycee/Outils FAP/decrochage/pr%C3%A9sentation.htm
Enfermer n’est pas éduquer
Dans une tribune parue dans Libération du 12 juillet,
Manuel Palacio, président de l’Afpej,
s’élève contre le projet de centres fermés
pour les mineurs : » L’enfermement est une réponse
à un acte, c’est une sanction à l’état brut.
En revanche, le placement en institution obéit à
une autre logique. Tout en jugeant l’acte, il s’agit d’apporter
une réponse à la personne qui l’a commis. Ici la
sanction existe, mais elle se prolonge d’un traitement de fond,
ce que l’on appelle une action éducative. La notion de
centre éducatif fermé vient confondre ces deux
niveaux. » Il appelle à » une ambitieuse
réforme de la détention des mineurs où,
enfin, l’exigence de la sanction serait satisfaite sans que cela
soit au détriment du devoir d’éducation ».
http://www.liberation.fr/page.php?Article=41478
La loi Perben condamnée par la L.D.H.
Dans une tribune de Libération du 14 août 2002,
Michel Tubiana, président de la Ligue des Droits de
l’Homme, dénonce l’enfermement des mineurs par une justice
sociale « au rabais » : « S’agissant de juguler une
délinquance venant des « gens d’en bas », il est normal de
créer une « justice d’en bas ». C’est ce que seront les
juges de proximité, au statut incertain, soumis aux
pressions du parquet et chargés d’un abattage judiciaire
allant jusqu’aux mineurs. Justice au rabais aussi que cette
accélération de l’accroissement de la
procédure de comparution immédiate qui va permettre
d’infliger jusqu’à vingt ans de prison en quelques
semaines… Les mineurs se voient promettre un enfermement
« éducatif » auquel même le très
sécuritaire M. Peyrefitte avait mis fin. »
http://www.liberation.fr/page.php?Article=47212
L’échec scolaire, stigmate de la délinquance
Le Sénat publie un rapport sur la délinquance des
jeunes qui accuse l’école. Ce rapport montre d’abord la
montée des actes délinquants commis par les mineurs
: 82.151 mineurs mis en cause en 1977, 177.017 en 2001; une
délinquance souvent peu grave mais qui exaspère la
population. Le rapport établit également la
« surdélinquance des jeunes issus de l’immigration »
: 32% des délits peu graves seraient commis par des
adolescents dont les deux parents sont nés à
l’étranger. Parmi les causes de cette situation, pour le
rapporteur, « plusieurs indicateurs mettent en évidence
le rôle que joue (l’échec scolaire) dans le
basculement (vers la délinquance).. Le bilan du
collège unique est mitigé.. Il a conduit à
une radicalisation de l’échec, et est, à ce titre,
« co-producteur » de délinquance. La démocratisation
du collège laisse sur le carreau un nombre non
négligeable d’enfants ». Aussi, parmi les mesures
retenues par les sénateurs, plusieurs concernent
l’école. Puisque l’école « à force
d’intégrer a fini par exclure », il faut lutter contre
l’absentéisme scolaire en menaçant de suspendre les
prestations familiales, améliorer la formation des
maîtres, améliorer le système de sanction
dans les établissements, développer les classes SAS
et les classes relais et surtout diversifier le collège
unique en proposant « un enseignement à option qui
encourage les gestes et les techniques ».
Le Sénat souhaite aussi maintenir l’ordonnance de 1945
mais en l’aménageant : accélération des
procédures, détention provisoire pour les mineurs
de 13 à 16 ans, création d’établissements
pénitentiaires spécifiques « permettant une prise en
charge éducative ».
En annexe au rapport, on trouvera les témoignages de
nombreux sociologues : Sébastien Roché, pour qui
l’échec scolaire est la première motivation de la
délinquance des jeunes, Laurent Mucchielli, pour qui la
« prévention des troubles scolaires devrait être
une grande priorité nationale ».
On le voit : un rapport bien documenté, qui apporte de
précieuses informations mais qui aura des
conséquences sur l’école.
http://www.senat.fr/rap/r01-340-1/r01-340-1.html
http://www.senat.fr/rap/r01-340-2/r01-340-2.html
Des enseignants dans les centres éducatifs
fermés
X. Darcos l’a annoncé : un enseignant, le plus souvent un
instituteur spécialisé, sera affecté dans
chacun des centres éducatifs fermés
créés par la loi Perben. Il suivra les
études que les jeunes pourraient suivre à distance
via le CNED. Il dispensera également un enseignement 4
heures par jour, 4 jours par semaine, « soit plus que ce qui
est dispensé en prison ».
http://actu.voila.fr/Depeche/depeche_emploi_020725160947.c0w10aae.html
Le délit d’outrage et ses suites
On sait que la loi Perben a créé un délit
d’outrage à enseignant passible de 6 mois de prison et
7500 euros d’amende. Le Monde du 3 septembre a consulté
enseignants et magistrats sur ce nouvel article du Code
pénal. Si les avis des enseignants varient, du coté
des palais de justice l’application de la nouvelle loi se
prépare. Ainsi ce magistrat de Reims : « on pourra,
lorsqu’un élève « pète les plombs » en cours,
l’arrêter séance tenante ». La nouvelle loi
permet de mettre en garde à vue les coupables. Et on se
prépare à leur imposer des travaux
d’intérêt général.
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3226–288924-,00.html