A quelques jours des examens de fin d ‘année, la crise de l’école semble s’approfondir. Si le Café n’a pas mission de donner des consignes ou des leçons, il lui est difficile de ne pas voir la gravité de la situation.
D’autant qu’Internet est devenu un des supports les plus importants du mouvement. Les listes de discussion professionnelles bruissent de rumeurs, publient des informations, permettent d’échanger des analyses, parfois de très haut niveau, sur la mobilisation enseignante et ses combats. Les professeurs ont ouvert des sites qui leur permettent d’organiser leur mouvement et de faire connaître au jour le jour leurs actions (par exemple http://reseaudesbahuts.lautre.net ou http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=3205 ). Cela confirme ce que nous savons bien au Café : les enseignants sont des usagers réguliers des TIC.
Lecteurs attentifs de ces échanges, nous en connaissons bien les arguments. Mais, comme d’autres observateurs, nous avons le sentiment que la crise est plus profonde et a d’autres motivations. Dans l’entretien qu’il donne au Café, François Dubet dit » Les enseignants ont l’impression de ne plus contrôler leur espace de travail, ils sentent que l’alliance entre l’école et la société se défait, ils voient bien que l’école n’atteint pas les objectifs qu’elle se fixe ». C’est bien d’une crise de l’école qu’il s’agit. Les enseignants ont le sentiment de ne pas être reconnus et de faire un métier de plus en plus difficile et dévalorisé. C’est leur avenir et celui de l’école qui font peur. Et cela s’entend aussi dans le débat sur les retraites.
L’autre axe revendicatif du mouvement, le refus de la décentralisation, a également sa part d’ambiguïté. La décentralisation a jusque là été très positive pour l’école. On sait que les collectivités locales ont beaucoup investi dans l’école, et cela sans rapport avec leurs revenus. Plusieurs misent sur l’école, impulsent des politiques ambitieuses et les financent. Je pense aux cartables landais, au réseau picard, à la ville de Rennes par exemple. On perçoit parfois moins à quel point les collectivités locales entourent l’école et sont indispensables au fonctionnement quotidien des établissements, particulièrement en ZEP. Dans le dossier du Café sur la violence scolaire (1), nous avons pu constater, par exemple, que la lutte contre la violence n’obtient des résultats que là où elle s’appuie sur un solide tissu d’associations et de services financés et dirigés par les villes, le département et la région. Si la situation est vivable dans tel gros collège du 93, c’est que le CPE travaille étroitement et quotidiennement avec ces structures. Aussi le refus de la décentralisation peut cacher des peurs bien différentes. Avons nous peur que les ATOS soient maltraités en passant dans la fonction publique territoriale ? Manifestons-nous un fort désir de créer une communauté éducative qui, de toute évidence, n’a jamais réellement existé ? Ou sommes-nous attachés à une conception nationale de l’éducation ?
Face à la crise, les réponses les plus courantes sont stéréotypées. D’un côté on agite l’épouvantail de « la marchandisation de l’école » et on l’enfle des rumeurs les plus folles, même quand elles font l’objet des démentis les plus éclatants. De l’autre, on donne la réplique en gonflant le drap moisi du vieux fantôme de Mai 68. Comment s’étonner que cette crise s’accompagne d’une méfiance profonde envers les autorités ? Emmanuel Davidenkoff a beau jeu de souligner » une extrême défiance à l’égard de toutes les instances censées représenter les citoyens : le gouvernement, le ministre de l’Education, les collectivités (accusées de faire, à coup sûr, le jeu des entreprises, en cas de décentralisation), les médias, les syndicats (sous étroite surveillance d’une «base» qui ne veut rien lâcher) et désormais la Commission européenne (qui promet pourtant de maintenir l’éducation hors du champ de l’AGCS) » (2). Il n’est jusque la menace pesant sur le bac qui ne reflète un certain décalage. Tout le monde affecte de croire qu’il reste le diplôme de référence qui ouvre à tous la porte de l’enseignement supérieur. Or on connaît le taux d’échec en DEUG (50%). La majorité des étudiants de licence n’ont pas fait de premier cycle en université et leur réussite dans l’enseignement supérieur a dépendu non de cet examen national, républicain et anonyme mais d’un magistral dossier scolaire.
N’empêche, béni soit le bac et son mythe ! Les menaces qui pèsent sur lui sont en train de mobiliser la société entière. Les profs sont dans la rue. Parfois les ATOS. Maintenant on voit les parents, les élèves même, se faire entendre. La crise a du bon : elle est tellement grave et profonde qu’elle peut donner l’occasion d’aller enfin au fond des choses.
Oui le moment est venu de refonder l’école. Mais sur quoi ? Dans l’interview qu’il nous a accordé, François Dubet souhaite un nouveau collège unique « Il faut choisir entre le maintien d’un collège conçu comme un premier cycle de lycée d’enseignement général, et un collège pour tous centré sur l’apprentissage d’une culture commune. Je milite pour cette seconde solution qui semble en mesure d’accroître l’efficacité du système et d’assurer une plus grande équité ». Quel beau projet ! Mais est-on conscient des bouleversements pédagogiques, des changements statutaires, des mutations culturelles, des sacrifices sociaux que cela implique ? Est-ce envisageable dans une société éclatée par la montée des particularismes et la compétition sociale ? François Dubet lui-même est parfois pessimiste. Sur quelles valeurs peut-on encore réunir une large majorité des Français ? Où peut s’arrêter le balancier d’un nouveau compromis républicain ?
Espérons au moins de la crise actuelle qu’elle fasse ouvrir les yeux sur l’école et qu’elle permette une vraie information sur ses fonctionnements, ses fonctions sociales et ses enjeux. Espérons qu’elle permette l’expression de tous, y compris des élèves, et que le débat s’ouvre.
François Jarraud
(1) http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/violence_index.aspx
(2) Libération du 26 mai 2003 . http://www.liberation.fr/page.php?Article=113302