Propos relevés hier sur une liste de discussion pédagogique :
– « Figurez-vous que j’ai reçu un courriel d’une petite de sixième m’informant qu’elle ne pouvait accéder au travail que j’avais mis sur XZ (ici le nom d’un célèbre site pédagogique) ».
– « Mais (ton indigné) que font ces élèves sur XZ ! »
Voici le site en question, élément d’un réseau mondial, transformé en une salle des profs virtuelle, avec, cloué sur la porte « Interdit aux élèves », une de ces bastilles scolaires qui font notre quotidien. Comme si l’on voulait, sur le réseau, remettre des élèves là où il y a des personnes.
Et puis voilà Grégory Michnik, dont nous publions l’entretien dans ce numéro, qui utilise Internet dans un sens contraire. Son site n’est pas une banque de ressources pédagogiques, mais un « cahier de textes » où les élèves trouvent les fichiers dont ils ont besoin pour le cours (fiches de révision etc.) et un forum où ils peuvent échanger, en direct ou en différé, avec le prof et leurs camarades. Ce n’est pas la salle des profs, c’est plutôt… le café d’en face (parce qu’un espace comme ça n’existe pas encore dans nos établissements !). Grégory n’est pas le seul à avoir mis en place un dispositif de cet ordre mais il a su d’emblée l’affirmer et le penser.
Après tout, le désir des enseignants d’avoir un espace réservé n’est pas illégitime. La salle des profs n’interdit pas (heureusement !) le café d’en face. Mais cela pose la question des usages du réseau dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils peuvent être très différents. L’outil technique ne préjuge pas entièrement des utilisations.
La première petite scène nous rappelle que, même sur Internet, nous avons besoin d’intimité. Dans le concret, pour les profs, faute de bureaux, le besoin est à peu près satisfait par la salle des profs. Pour les élèves, dépourvus d’espace personnel, le lieu de l’intime à l’école c’est le cartable. Au moment où on veut définir ce que seront les cartables électroniques, il est bon de s’en rappeler. Pour que l’élève s’approprie son cartable, il faudra qu’il puisse y stocker des choses intimes. Quel prof serait assez sadique pour violer l’intimité d’un cartable ? Mais l’administration peut-elle avoir la même sensibilité dans la gestion d’un espace numérique encadré par la loi ? Dans une autre dimension, le bulletin scolaire en ligne pose la même question. Pas seulement parce qu’il faut garantir qu’il ne soit lu que par des yeux autorisés. Mais aussi parce qu’il expose l’établissement dans sa pratique et son projet (ou son absence de projet) à travers les appréciations que nous portons. Le bulletin scolaire électronique va sans doute nous obliger à redéfinir ce qu’est un bulletin, à la fois document administratif et outil de communication avec le jeune et sa famille. Peut-être devrons nous apprendre à les reformuler. C’est peut-être pour cela que le projet rencontre quelques résistances…
La seconde scène nous montre qu’un lieu de travail peut également être un lieu de loisir. Le site de Grégory Michnik nous permet de réfléchir au futur espace numérique de travail. Celui-ci ne prendra toute sa dimension que s’il devient également lieu de communication. Tout simplement parce qu’enseigner c’est d’abord communiquer. Mais comment instituer cette communication ? Avec quels outils ? Quels animateurs ? Là aussi l’espace numérique nous renvoie à l’image de la profession et de ses pratiques.
Ces nouveaux dispositifs vont nous ramener à l’essentiel de ce qu’est la relation enseignante. Y compris le désir d’apprendre que la petite jeune fille de notre premier exemple cherchait à satisfaire.
François Jarraud
