La revue TRAMES, publiée par le Sceren / CRDP de Haute Normandie et l’IUFM de Rouen, a récemment changé de direction et de ligne éditoriales. Elle souhaite s’intéresser à la mise en oeuvre des nouveaux programmes. C’est dans cet esprit que le n° 10 (décembre 2002) consacre un épais dossier, coordonné par Jean-Paul Haghe, aux « frontières de l’eau ».
Il s’articule en trois parties: les communications des journées de l’EHESS sur ce thème, des études de cas complémentaires et des pistes d’exploitation pédagogique (du dossier au site web). Ce dossier étudie le rapport entre l’eau et les territoires en observant particulièrement l’adéquation (ou non) entre les bassin hydrographiques et d’autres divisions territoriales.
Les territoires de l’eau
Le rôle des cours d’eau en tant que cadre territorial, comme frontière ou au contraire trait d’union, est étudié pour plusieurs pays: le Portugal et l’Espagne ont signé des traités qui utilisaient d’abord les fleuves comme une structure territoriale (ligne de séparation), puis (fin du 20ème siècle ) les considéraient comme un ressource internationale qui donnait des droits de regards à un pays sur l’autre: la ligne d’eau a alors cédé la place à la notion de bassin (étude de
Carine Gendrot). La communication de Marie-Vic Ozouf-Marignier sur les bassin hydrographiques et les divisions administratives en France évoque d’abord la création des départements où l’on a tantôt pris les cours d’eau comme des limites, tantôt comme des facteurs d’unité: le choix s’est fait sur le terrain. Mais la théorie des bassins fluviaux élaborée par les Buache père et fils au XVIIIème siècle va plus tard servir de support à des projets d’aménagements ferroviaires (Louis Chevalier) et surtout de découpages régionaux (les légitimistes, mais aussi Arisitide Briand qui s’appuie sur des études de … Vidal de la Blache). Des notions qui sont réapparues depuis quelques décennies pour les mêmes raisons .
Dans un autre article, Bruno Lecoquierre fait le point sur ces « nouveaux territoires » que sont les bassins versants et où « des solidarités nouvelles devront émerger. » Le cas complexe du bassin du Mékong est abordé par François Ternat: c’est un espace qui a oscillé entre une certaine unité (empire Khmer, empire colonial français) et un morcellement par les frontières (Chine, Laos, Cambodge, Vietnam). Le Mékong semble être aujourd’hui un espace de coopération pour l’aménagement du fleuve ou au contraire de routes transversales (ponts); mais l’unification d’une communauté des pays du Mékong est encore loin compte tenu des écarts économiques et socio-culturels entre ces pays.
On le voit, toutes ces études laissent bien peu de place au déterminisme géographique dans l’observation des cadres territoriaux marqués par les cours d’eau. Il s’agit au contraire d’observer les articulations entre ces cadres et les représentations ou l’utilisation des cours d’eau par les sociétés , de montrer l’évolution de ces articulations, tant l’histoire est ici inséparable de la géographie. Ainsi, en Irlande du Nord la rivère Foyle de Derry et le fleuve Lagan de Belfast opposent-ils catholiques et protestants dans l’espace mais selon des modalités très différentes qui dépendent des évolutions socio-économiques ou démographiques.
Pour une « culture de l’eau »
Dans une étude sur les nouveaux manuels de seconde, J.P. Hahge remarque la surreprésentation de la « rareté » de l’eau et la préférence pour l’irrigation en régions sèches, alors que les régions humides et les problèmes de « surrabondance de l’eau » sont nettement moins présents. C’est pour compenser ce déséquilibre que le dossier propose des études de cas et des pistes d’utilisation pédagogiques. Compte-tenu du lieu de production de ce dossiers, les exemples sont évidemment normando-séquaniens, mais il sont formateurs pour tous: A travers l’analyse de trois territoires de l’eau aux échelles différentes (marais Vernier, vallée du commerce et la Seine), J.P. Haghe explique comment on peut utiliser en classe le concept d’hydrosystème de Jacques Béthemont (et l’on remarquera que l’hydrosystème du Marais Vernier pour les chasseurs, n’est pas le même que celui des agriculteurs: toujours ce lien entre les territoires de l’eau et les sociétés qui constituent la marque de ce dossier). Bernard Jeanne soigne la nécessaire culture de l’eau des élèves en montrant qu’un espace d’abondance de l’eau (la région de Préaux) nécessite néanmoins une gestion complexe : l’adduction régulière d’une eau de qualité explique son coût malgré l’abondance; elle doit être surveillée contre les pollutions issues des agricultures environnantes, ce qui n’est pas sans prix. Il faut enfin entretenir un système moderne et efficace d’évacuation et de traitement des eaux usées pour cette zone périurbaine qui a connu une forte croissance démographique. Un site web d’école primaire et une « classe de l’eau » en collège vont dans ce même sens d’une compréhension du cycle de l’eau et de l’adduction des eaux fondée sur l’enquête de proximité.
Géopolitique de l’eau
Malgré ce rééquilibrage, les grands aménagements du Tiers Monde et sa « géopolitique de l’eau » n’ont pas été oubliés: une communication d’Yves Lacoste explique le retard pris dans la protection du Bangladesh contre les colères de l’eau par son appartenance, jusqu’en 1971, à un état Pakistanais en deux morceaux, dont la partie occidentale avait surtout des soucis d’irrigation. Quant à l’abandon du projet colossal d’endiguement de Jacques Attali et François Mitterrand, elle est due selon Yves Lacoste aux campagnes d’ONG anglo-saxonnes et à la particularité d’une initiative française dans cette zone d’influence anglo-saxonne. Yves Lacoste replace aussi l’absence de protection du Delta dans le contexte des pressions écologistes qui ont poussé la banque mondiale à ne plus participer au financement des grands barrages. Cette situation se retrouve dans l’étude de François Ternat sur le Mékong, même si les problèmes écologiques et sociaux créés par les barrages sont ici évoqués (déclin des prises de poisson pour la pêche locale …). La poudrière aquatique moyen-orientale est rappelée par Patrick Ribau qui expose la nécessité de l’application d’un doit international de la protection de la ressource en eau, de la relance des négociations multilatérales. Celles ci sont indispensables pour sortir d’une exploitation de l’eau au nom de la souveraineté voire de la stratégie qui empêche ce que Patrick Ribau apelle « la sécurité des égaux ».
On trouvera enfin, dans la partie consacrée à la formation des enseignants un très utile texte de synthèse sur la question de l’eau. Il s’agit de la correction de l’épreuve professionnelle du CAPES de documentaliste où les candidats doivent réaliser un dossier de documentation. Mais c’est un texte qui pourra rendre bien des services aux enseignants de géographie également.
Au total, cet exemplaire de la revue TRAMES est un outil bien utile pour se préparer à traiter ces questions de l’eau grâce aux problématiques et aux pistes pédagogiques proposées.
Marc Lohez
Revue Trames, IUFM de Rouen
http://www.rouen.iufm.fr/publication/sommaires.htm