Le film « Etre et avoir » est déjà un des grands succès de la rentrée. Il interpelle plus directement les enseignants.
L’importance médiatique dans laquelle le film « Etre et Avoir » de Nicolas Philibert est pris m’a soudain effrayé. Pourquoi fallait-il qu’une tempête d’éloge s’abatte sur ces instants que j’avais eu l’impression de partager avec les élèves, l’instituteur et lui et que je voulais garder secrètement pour moi. Il avait voulu montrer des émotions et j’avais été submergé pendant un long moment. C’est vrai que la rentrée scolaire dans les médias trouve avec ce documentaire une matière rêvée pour commenter ce moment important qui scande traditionnellement l’année médiatique.. Et pourtant j’avais été ému, et je ne voulais pas que ça se sache, cette émotion partagée dans l’intimité de la classe et qui dure souvent toute l’année. Puis il y a eu ces débats publics dans lesquels nous voulions tous poser nos questions au réalisateur, comprendre, expliquer, détailler, entendre.
Au calme avec un collègue nous en avons reparlé en essayant de réaliser ce qui se passait dans notre tête, nous qui avions cru comprendre au travers de cet instituteur qu’innover ce n’est pas un spectacle, mais c’est avant tout un état d’esprit, une manière d’être, pas d’avoir. En fait innover ça ne se conjugue pas. Cette impression de déjà vu, d’encore recommencé ne m’avait pas gêné. Dans nos classes aussi il y a ces petits rituels de tous les jours, le tableau qu’on efface, le cartable sur le bureau, le bonjour à chacun. Et pourtant il me semblait qu’on nous cachait quelque chose. C’est comme si la caméra n’avait pas voulu montrer ce qu’on aurait tous voulu voir, qui nous aurait fait si plaisir et qui aurait transformé ces instants d’émotion en un reportage de dimanche soir à la télé.
Dans un de ces débats, il nous a demandés de ne pas chercher à aller voir derrière la caméra. Mais comment avait-il fait pour éviter que la caméra ne nous transforme en voyeurs ? Il avait réussi à ne pas donner aux élèves l’envie de se montrer. Ni inquisiteur, ni complice, l’oeil de la caméra est à la « bonne distance ». Cette bonne distance qu’on cherche tous dans notre classe avec les élèves, si difficile à trouver, Nicolas Philibert nous invite à la rechercher, comme une sorte de quête permanente, un souci constant du respect de l’autre. Enfin il y a ces enfants. Ils me semblent si capables de vie, moi qui désespère parfois dans ma classe. Est-ce la classe unique ? Est-ce l’instituteur ? Ils apprennent à vivre ensemble et ça se voit. Faut-il aller voir dans la classe des autres pour mieux voir les enfants qui sont chaque jour en face de nous ?
J’ai eu si souvent envie de n’avoir que des bons élèves ou au moins tous les mêmes, que j’ai oublié qu’ils peuvent apprendre à vivre avec les différences. Et pourtant ils sont bien comme les enfants qu’on a chaque jour dans nos classes. Il y a eu cette remarque que faisait un vieux monsieur : « votre école me rappelle celle de mon enfance, et pourtant il ne faudrait pas l’idéaliser. » Après tout il n’y a pas de bonne ou de mauvaise école, de bons ou de mauvais enseignants, de bons ou de mauvais élèves. Il y a surtout besoin d’apprendre en permanence à regarder l’autre.
F.Catrin et B.Devauchelle
Cepec