Le comparatisme est l’une des branches des sciences de l’éducation. C’est une discipline un peu austère, traditionnellement l’apanage de chercheurs anglo-saxons férus de statistiques. Car ce que l’éducation comparée compare le plus souvent, ce sont les » performances » (notez bien les guillemets) globales des systèmes éducatifs, en rapprochant l’effort, financier notamment, mis sur l’éducation par les États et les collectivités locales et les résultats obtenus, qu’ils soient pédagogiques, sociaux ou économiques. Ce faisant, on cherche à mesurer la qualité du retour sur l’investissement éducatif, par le jeu des comparaisons.
Plus rares sont les études qualitatives et en particulier celles traitant de pédagogie. Il faut donc saluer la sortie d’un ouvrage fort intéressant sur ce sujet, malheureusement en anglais et qui ne sera probablement pas traduit : » Culture and Pedagogy – International Comparisons in Primary Education » par Robin Alexander, aux éditions Blackwell ( http://www.blackwellpublishers.co.uk). C’est un gros livre, un peu cher (190 F), que l’on peut facilement se procurer sur Amazon.fr. Il traite essentiellement de l’enseignement primaire dans cinq pays différents : l’Angleterre, la France, l’Inde, la Russie et les États-Unis. Chaque pays donne lieu à des compte-rendus d’observation de classes et à toutes sortes d’analyses croisées. Il n’y est quasiment pas question d’usages des technologies. Les ordinateurs sont peu présents dans les classes observées (entre 1994 et 1998) et l’auteur n’éprouve manifestement pas d’intérêt particulier pour ce sujet. Cela n’enlève rien à l’intérêt de son travail.
Le comparatisme, dès lors qu’il s’interdit toute tentation de hiérarchiser a priori les pratiques qu’il observe et qu’il adopte donc vis-à-vis d’elles une approche absolument relativiste, est le meilleur moyen de mettre en évidence les traits qui caractérisent des systèmes de représentation, des fonctionnements institutionnels, des pratiques individuelles. Ici, Robin Alexander, avec un regard qui ne renie pas son caractère britannique, observe les systèmes éducatifs de cinq pays, sous tous les angles, et en particulier sous celui des pratiques de classes.
Vite, on se précipite sur les pages où il est question de la France pour voir à quelle sauce il nous a cuisinés…
Considérant avec intérêt et bienveillance, c’est important de le souligner, le fonctionnement de l’école et des écoles françaises, Robin Alexander est surtout frappé par le contraste qu’il perçoit entre l’image d’un système très centralisé et la très grande variété des pratiques de classe. Voilà l’originalité de l’école française nous dit-il, un trait qui lui est propre et que l’on ne retrouve pas dans l’école anglaise ni dans celle des trois autres pays étudiés.
D’une part, l’école française montre une très grande unité grâce notamment à des programmes d’enseignement qui constituent un cadre de référence solide et respecté mais également grâce à un système de valeurs au centre duquel, le principe d’égalité (non traduit dans le texte), sans cesse rappelé et revendiqué, assure la cohérence du système. D’autre part, la très grande diversité des pratiques de classe. Constater qu’à l’intérieur d’un même établissement, les dispositions des salles et les conduites de classe puissent être aussi différentes d’un enseignant à l’autre, voilà ce qui étonne l’observateur britannique. Ce principe de liberté du maître dans le choix de sa pédagogie (second principe fondateur et second mot non traduit dans le texte) complète le diptyque sur lequel reposerait l’école à la française.
Tout cela nous le savons bien me direz-vous !
Mais ce que nous ne savions peut-être pas c’est que cette articulation entre le principe d’égalité de traitement des enfants et de liberté pédagogique des maîtres caractérise notre système éducatif parce que ces deux principes ne se retrouvent dans aucun autre pays, disposés de la même façon, aussi étroitement imbriqués qu’ils le sont en France. Cette particularité nous signale également que ce trait caractéristique, probablement très lié à notre identité culturelle nationale, ne peut pas être remis en cause sans provoquer d’énergiques réactions.
De façon très pratique, cette analyse nous invite à approcher autrement la question de la diffusion des TICE, non pas dans des termes très généraux et très universels comme on le fait si souvent mais en tenant compte de certaines particularités culturelles.
L’incitation à l’usage des technologies touche directement à la question des méthodes pédagogiques, c’est-à-dire au domaine où s’exerce le principe de liberté de l’enseignant, domaine dans lequel le discours prescriptif, en France du moins, ne peut pas être de mise. Or, le discours sur les TICE s’accompagne volontiers de préconisations à portée universelle qui heurtent les enseignants français plus que tout autre.
La résistance souvent observée en France à la diffusion des pédagogies nouvelles, aujourd’hui des TICE, serait donc beaucoup moins le signe d’un conservatisme des enseignants qu’une résistance au conformisme qui contredit le principe de liberté pédagogique. Si l’on acceptait d’y regarder d’un peu plus près, on constaterait sans doute que l’école française est beaucoup plus diverse qu’elle n’est traditionnelle.
Avec les TICE, une tendance commence d’ailleurs à se faire jour. Au nom du principe d’égalité, nous sommes l’un des pays d’Europe où la systématisation des équipements et de l’accès à Internet, non seulement des établissements mais aussi des enseignants, se fait le mieux et le plus vite. A terme, on peut pronostiquer que les technologies seront utilisées dans tous les établissements et par tous les enseignants. Mais au nom du principe de liberté, les modalités d’usages des TICE ne pourront pas être normalisées, elles resteront aussi diverses que le sont aujourd’hui les pratiques pédagogiques ordinaires.
Serge Pouts-Lajus