L’Ecole ne peut rester insensible aux questions importantes que soulèvent quelques évènements récents, surtout quand, de l’intérieur comme de l’extérieur de l’institution scolaire, des voix s’élèvent pour en dénoncer les dérives mercantiles, les technologies de l’information et de la communication en étant un des symboles.
La mort de Pierre Bourdieu remet en lumière l’importance qu’ont eu ses travaux sur des générations d’enseignants, souvent oubliés derrière les débats médiatiques. « Les héritiers », écrit en collaboration avec Jean-Claude Passeron, a posé l’école en face de ses responsabilités au sein de la nation. En effet ses auteurs ont montré, thèse aujourd’hui discutée, que l’école reproduit les inégalités sociales et collabore donc avec le pouvoir de la bourgeoisie au pouvoir. L’ensemble du travail de ce chercheur, tout en paraissant isoler à chaque fois un élément de l’ensemble, ne cesse d’interroger la globalité du fonctionnement social en mettant en évidence le vrai sens de ce qui parait trop évident (la grande pauvreté, l’école, les médias etc.).
Les technologies de l’information et de la communication rappellent si l’on fait l’analyse de leur déploiement dans la société que les questions de domination se posent aussi au travers d’elles. Faut-il ou non les intégrer à l’école ? Faut-il s’allier avec les grandes entreprises du secteur professionnel ? Faut-il construire nos propres machines et nos propres système au nom de notre pureté éducative ? Que faisons nous de la fracture sociale, ici transformée en fracture numérique ?
Le sommet de Porto Alegre nous invite à beaucoup de mesure, bien plus qu’à la simple révolte. Il nous aide à comprendre les questions sur les TIC en proposant de situer le questionnement au delà des machines et des finances, c’est à dire de le situer du coté de l’être humain. Il semble que le principal débat se situe autour de deux figures essentielles : l’individu et le collectif. Cette bipolarisation réductrice des débats est avant tout une forme classique de la pensée rationnelle occidentale que nous pouvons lire dans de nombreux propos médiatisés.
Le problème est que chaque enseignant, pour peu qu’il observe un tant soit peu ses élèves note que cette bipolarisation est illusoire. Entre le sentiment individualiste (la compétition totale) et le sentiment collectif (l’abnégation pour les autres) il y a une tension permanente dans laquelle l’école se débat. La pensée réductrice va mettre en avant les extrêmes et oublier la tension qui règne entre ces extrêmes.
Introduire les TIC dans l’école ce n’est pas la vendre aux marchands et la livrer au néolibéralisme. Les refuser ce n’est pas non plus défendre la pureté du sens de l’Etat. Cependant la maîtrise des TIC n’est-elle pas l’apanage des nouveaux dominants comme jadis le livre ? S’ouvrant ainsi à une nouvelle caste dominante, les TIC ne seraient-elles pas alors le symbole de ce que Pierre Bourdieu dénonçait ?
En prenant position sur cette question l’école tente d’énoncer la nouvelle tension au sein de laquelle elle a pleinement son rôle : Entre l’individualisme, encouragé par de nombreux dispositifs d’évaluation et de sélection, et le collectivisme, encouragé par la massification du système, les acteurs impliqués tentent de trouver une voie qui cherche à éviter les deux écueils. Chacun réinvente à son niveau, dans sa classe sa solution (l’individualisme). Le ministère essaie d’homogénéiser le fonctionnement de l’école (collectivisme). Entre les deux des hommes et des femmes essaient de proposer des voies nouvelles.
L’introduction des TIC à l’école depuis trente années est exemplaire de la recherche d’une position satisfaisante. La difficulté de cette démarche tient à la nature même de l’instrument. Entre un élément de la nouvelle domination de quelques uns, et un véritable espace d’échange où l’individu se fond dans le collectif, elles sont le symbole même du débat de l’école. En position de révélateur, ces technologies deviennent rapidement symbole, voire bouc émissaire. L’ordinateur n’est pas synonyme d’esclavage, pas plus que sa négation révélateur de pureté intellectuelle. Le livre tout comme l’ordinateur sont des symboles de pouvoir et de domination à un moment donné de leur développement. L’Ecole a justement un rôle à jouer pour permettre de dépasser ce moment. Elle n’y a pas forcément bien réussi avec le livre, ni même avec la télévision. Espérons qu’elle « osera » réussir avec les technologies de l’information et de la communication.
Bruno Devauchelle
Cepec
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