Jean-Pierre Crespin
Il paraît difficile ici de parler des problèmes de gestion de comportements, et ça semble rester un tabou, tout comme à l’IUFM où on n’est que trop peu préparé à être confronté aux multitudes d’enfants qui ont chacun leur valise sur le dos à se trimbaler. En retour de stage, en IUFM, ce problème revenait souvent mais la seule réponse entendue était du style « il n’y a pas de solution, on ne connaît pas le problème etc? ». Je comprends tout à fait, tant l’enfant est complexe dans ce qu’il exprime à travers son comportement. À mon sens, celui qui nous « casse les pieds » souffre. Celui qui a beaucoup de mal à s’affirmer dans le groupe souffre aussi. Chacun a droit à de la considération.
Dans un premier temps il paraît important de parler du respect mutuel et réciproque dans la relation enseignant/enseignés et vice versa ainsi que dans toutes les relations humaines au sein de l’École. Chacun de ces trois concepts a des connotations positives et des consonances désagréables, négatives.
1) LE RESPECT me semble premier (prioritaire) dans toute relation humaine et la situation d’éducation, d’enseignement en est une, sans doute une des plus importantes dans la vie d’un jeune, futur citoyen… Les aspects positifs dans le respect mutuel sans lesquels rien ne peut se produire me semblent être:
– La courtoisie: la courtoisie dans les propos et dans l’attitude de chacun des partenaires. Sans elle, rien n’est possible!
– La tolérance: tolérance vis à vis des idées qu’exprime l’autre au nom d’un engagement ou d’une culture propres.
– La civilité: le fait d’appartenir à une même communauté éducative fait que nous y avons des devoirs vis à vis de tous les autres membres: notre comportement doit toujours en tenir compte, même si nous avons les droits qui vont avec cette civilité.
– L’estime réciproque est la condition minimale d’un ‘commerce humain’ possible et profitable.
– La décence est de rigueur dans toutes les déclarations et manifestations de chacun. Ne pas choquer, ne pas heurter.
– Le sens du devoir est le seul qui permet de revendiquer des droits.
– Les égards ne sont pas dus seulement à ceux qui ont un handicap permanent ou passager; ils sont dus à tous.
– La considération est due à tous les élèves et à toutes les familles ainsi qu’à tous les membres de la Communauté Éducative, sans aucune réserve.
– L’affection est un minimum qui est dû aux enfants, de la part de tous les adultes en milieu scolaire, mais aussi, et surtout, de la part de leurs
parents…
– La politesse est la condition sine qua none de relations sans blessures au sein d’une même communauté humaine. (Ainsi, les galets bien polis d’une plage à marée montante, qui ne se heurtent pas et font moins de bruit car ils sont bien polis.)
– La pudeur constitue une attitude de chacun propre à ne choquer personne et montrant une réserve et une certaine modestie dans les rapports qu’on souhaite avoir avec les autres.
– Réserve et retenue sont de mise afin de ne pas humilier ou mettre mal à l’aise des personnes un peu fragiles ou fragilisées par un événement récent qui les touche de très près.
– Un certain sens de l’honneur et le rejet du mensonge, de la dissimulation sont utiles tant dans le sport que dans les activités de tous moments.
– La loyauté est toujours reconnue et appréciée par les autres membres d’un groupe humain. Même par ceux qui n’ont pas encore accédé à cette vertu…
Les aspects dommageables ou négatifs d’un ‘respect excessif’ ou hypocrite:
– La révérence
– Le fétichisme
– La crainte excessive
– L’hommage exagéré
– Le culte
– La vénération
– L’adoration
Sans ce respect bien acquis, bien instauré, et surtout par l’exemple vivant de l’adulte qu’est l’enseignant, point de salut possible. La férule n’est qu’une illusion de pouvoir très éphémère…
2) L’AUTORITÉ :
Si l’autorité est un droit ou un statut, elle est surtout un pouvoir, « une sorte de supériorité » qui s’acquiert sans contrainte mais juste au moyen du respect mutuel et de la confiance que l’on peut inspirer. Il y a bien sûr l’autorité de l’institution légitime, du pouvoir en place, de la loi et des Autorités chargées de la faire appliquer dans une démocratie, mais il y a surtout l’autorité personnelle, naturelle d’un individu qui est en charge d’une fonction ou non.
Les aspects positifs et générateurs d’autorité véritable me semblent être:
– Le charisme: l’auréole personnelle, l’implication dans sa tâche et la capacité d’écoute et de communication avec son environnement
– La compétence: compétences disciplinaires mais aussi et surtout compétence à faire régner l’harmonie dans un groupe éventuellement hétérogène afin de pouvoir s’occuper de tous et de chacun.
– Le crédit: c’est à dire le capital confiance que l’on obtient auprès des élèves et de leurs familles. C’est une conquête assez progressive mais indispensable dans la durée. Il s’obtient aussi en accordant sa confiance aux autres.
– La fermeté: Il ne s’agit pas de la férule, ni de l’intransigeance mais d’une fermeté bienveillante, celle qui sait bien définir les frontières entre l’acceptable et l’inacceptable. Savoir dire NON! fermement est indispensable à l’éducation des enfants et d’ailleurs, quelque part, ça les rassure et leur donne confiance en cet adulte qui sait dire non?
– La maîtrise: maîtrise des conflits inéluctables, maîtrise des crises éventuelles en sachant les résoudre avec fermeté, justice et bienveillance, au bénéfice de tous et en n’hésitant pas à sanctionner équitablement le/les fautifs, dans le sens de la réparation envers les autres qui devient en même temps une réhabilitation.
Alors peuvent venir des états d’autorité stables et très valorisants comme:
– Le prestige: ça ne s’obtient que très difficilement et il faut y consacrer du temps et de l’énergie. S’impliquer beaucoup.
– Une réputation: tous les parents et les élèves veulent venir chez Mme ou Mr Untel car….. c’est souvent indéfinissable, mais c’est ainsi.
– L’ascendant: ce pouvoir apparemment naturel qui fait que vous pourrez réaliser vos projets professionnels sans jamais avoir de bâtons dans les roues.
– La considération: une sorte de reconnaissance, plus ou moins justifiée qui fait de vous un personnage ou même une personnalité.
– L’influence: certains enseignants deviennent effectivement des personnes influentes dans leur village ou dans leur quartier voire dans leur ville. Certains deviennent même parfois des politiques de premier plan…
– La séduction: est parfois le moyen utilisé pour parvenir à ses objectifs pédagogiques et éducatifs. Tous ces moyens d’autorité conduisent apparemment à « l’obéissance » mais en réalité ce n’est qu’une acceptation d’un climat entretenu par l’enseignant lui-même. Une adhésion tacite.
Les aspects de l’autorité à connotation négative sont assez nombreux mais je ne souhaite pas m’étendre dessus:
– La férule, la force, l’oppression, l’emprise, l’absolutisme, la toute-puissance, la prééminence, le magistère (quoi que), l’hégémonie, la demande d’allégeance, le ‘caporalisme’, la poigne, l’omnipotence, la dictature, le despotisme, l’autoritarisme et la tyrannie (j’en passe et des meilleures) sont à proscrire évidemment des pratiques visant à instaurer un climat de classe propice au travail. J’ajoute qu’il faut impliquer les enfants dans cette pratique et ce respect de l’autorité, des règles à appliquer pour que s’exerce cette autorité bienveillante qui semble même ne plus exister lorsqu’elle est instituée… S’il y a manquements, alors il ne faut pas hésiter à sanctionner. Je ne dis pas – vous le remarquerez – « punir » qui a une autre connotation.
3) LE CLIMAT DE CLASSE : (ou discipline qui règne dans la classe)
Le premier point abordé était celui du respect. Le second fut le sujet incontournable de l’autorité de l’enseignant. Ce troisième point voudrait essentiellement traiter de la discipline qui règne dans une classe ou pendant un cours : le « climat de classe» ou « climat de confiance » qui prévaut entre les différents acteurs des apprentissages, qui sont la tâche essentielle des élèves.
Pourquoi préférer « climat de classe » à « discipline » ? Tout simplement parce que le terme discipline est trop connoté militairement et qu’on a l’impression que c’est le magister, seul, qui
est détenteur, responsable et comptable de cette discipline… N’oublions pas que le terme discipline signifie à son origine «punition, ravage, douleur ». Bien sûr, il est vrai que la discipline s’applique aussi bien aux élèves qu’au maître, dans la mesure où les premiers doivent la respecter et le second a pour rôle (entre autres)de la faire respecter, pour le bien de tous.
Puisque l’école a abandonné – depuis quelques décennies déjà – le modèle militaire, j’adopte pour ma part l’expression « climat de classe » qui a le sens d’une ambiance de relations humaines favorable à l’apprentissage et qui est respectueuse de chacun (élèves, maître, intervenants dans l’école et parents d’élèves). Sur quoi se fonde ce climat de classe ? Tout d‚abord sur le règlement intérieur de l’école assorti de principes adoptés au sein de chaque groupe classe, démocratiquement.
Les contenus de ces règlements doivent bien sûr être inspirés des règlements-types départementaux, mais chacun peut y ajouter des incontournables locaux relatifs au respect de tous et bien sûr au règlement de l’école applicable à tous.
En fait, il y a deux axes qui permettent d’obtenir un climat de classe propice au travail.
– Celui du professeur, responsable de la discipline, de l’ambiance qui règne, gardien de la loi commune.
– Celui des élèves (groupe & individus) qui ont un devoir de respect de la règle et une obligation de comportement personnel responsable, pour soi comme pour les autres.
Le maître a plusieurs ressources à sa disposition pour créer et maintenir un climat de classe favorable :
– Donner l’exemple de son comportement personnel.
– Mettre au point une organisation qui ne laisse place à aucun battement, flottement ou moments propres à « dissiper » le groupe. Seules les activités construites peuvent avoir lieu dans un bon climat. L’improvisation est réservée aux « artistes ».
– Savoir dire non fermement et ne jamais hésiter à imposer des contraintes adaptées, incontournables, lorsque les limites sont sur le point d’être franchies.
– Avoir des exigences fortes et pour le travail et pour le comportement (respect des règles et des autres.)
– Faire connaître et développer les valeurs en perte de vitesse (au sein du milieu familial) de l’obéissance aux injonctions, remarques et autres rappels à l’ordre des adultes responsables d’eux à l’école.
– User de son influence pour orienter les enfants peu disciplinés vers des attitudes plus respectueuses du règlement. N’utiliser les sanctions qu’en dernier recours, mais les faire exécuter dès qu’elles ont été prononcées.
– En ce qui concerne le bavardage évoqué abondamment à l’école primaire, je n’y reviens pas mais il est certain que si un climat généralisé de bavardages inutiles pour le travail, l’apprentissage des savoirs et/ou des savoir-faire, s’instaure, il faut y mettre le holà, en expliquant aux enfants les raisons de ce choix, mais en étant ferme sur les prix. Bavardages permanents et hors de propos ne constituent pas un bon climat de classe.
– Il faut « étonner » les élèves tous les jours et à tout instant, en ménageant des espaces de surprise et de bonheur d‚apprendre qui sont bien plus porteurs que les sanctions qui ne font que démobiliser.
– Toujours valoriser les enfants dans leurs actions plutôt que de les rabrouer : tous chercheront alors à obtenir ces satisfecit qui leur font si plaisir et qui sont tellement générateurs de progrès.
– La violence disait une amie, c’est un vrai problème, qui dépasse vraiment les autres. Ils auront droit (ces problèmes de violence) au même traitement que tout problème d’indiscipline, de non respect du règlement, mais en plus, les parents y seront systématiquement associés, dès le premier acte caractérisé, à la première incartade. Les parents doivent s’impliquer dans le traitement de la violence chez leurs rejetons car la solution à ce problème passe nécessairement par leur prise de conscience de ce phénomène et leur adhésion aux mesures prises à l’école, voire à leur renforcement à la maison.
Pour les élèves, on peut les impliquer mieux, davantage, dans le respect qu’ils doivent avoir du règlement et des autres enfants lors de réunions coopératives, au cours de débats (philosophiques?) hebdomadaires sur des problèmes récurrents, bref en les impliquant dans la vie de classe, afin qu’ils se responsabilisent eux-mêmes. Cela constitue un premier pas vers la discipline consentie et même vers l’autodiscipline qu’ils devront pratiquer au quotidien lorsqu’ils seront des citoyens à part entière.( i.e à 18 ans)
Un bon climat de classe s’instaure toujours avec beaucoup de toucher, de doigté et de feeling, mais une fois qu’il est installé, tout fonctionne « comme sur des roulettes. »