Le choix d’abandonner l’idée d’un enseignement de l’informatique comme discipline scolaire fait toujours débat, et des propositions faites par des candidats aux élections présidentielles l’ont montré. Simultanément, d’autres débats s’ouvrent et on peut lire ici ou là des échanges assez virulents autour de ces questions. Les TIC sont encore au cœur de certaines de ces interrogations. Ainsi les sciences de l’information (et de la communication) frappent-elles à la porte de l’enseignement secondaire (cf les propos d’Y. Le Coadic sur le site du CNDP). De même une remise en cause de la place de l’enseignement de la technologie pointe-t-elle au travers de certains propos (cf des propos tenus sur le site Pagestec).
Ainsi l’arrivée il y a plus de trente années de l’informatique dans l’enseignement pourrait apparaître comme le début d’un questionnement plus large et durable sur la place des technologies dans le système éducatif, sur l’importance à accorder à l’information communication (la documentation ?), sur le rapport entre usage et science au sein des disciplines d’enseignement.
La nomination au poste de Ministre de l’éducation de l’ancien président du Conseil national des programmes Luc Ferry est l’occasion de proposer d’ouvrir réellement un débat qui pourrait, du moins dans un premier temps, faire abstraction des groupes de pression et des intérêts particulier. En effet, les choix qui ont été faits en matière de TIC au cours des dernières années a débouché très clairement sur une demande d’intégration effective des TIC au sein des programmes disciplinaires.
1 – L’usage des TIC
Contrairement à certains pays, la France a donc choisi de privilégier l’usage en matière de TIC à l’école. Ce choix s’appuie sur l’idée que l’utilisation des TIC doit être » naturellement » intégrée à la vie quotidienne de chaque citoyen. C’est pourquoi l’école, dans le cadre de sa mission, est chargée d’assurer que les jeunes n’y échappent pas. En mettant en place le B2i le ministère de l’éducation à tenté de tracer une route entre les nécessaires compétences techniques et l’impératif d’un usage pertinent intégré à toutes les activités d’apprentissage scolaire.
Les jeunes se retrouveront assez aisément dans un tel modèle, eux qui pourraient avoir tendance à railler tel enseignant qui ne maîtrisant pas l’ordinateur pourrait passer pour » ringard « . Les enseignants quant à eux, reconnaissent souvent avec intérêt l’habileté de certains de leurs élèves mais font aussi remarquer qu’au delà de ces habiletés il y a parfois peu de sens. D’où l’intérêt de nombre d’entre eux pour ce B2i qui s’il ne sacralise pas l’informatique en en faisant une discipline, permet de négocier des changements d’attitudes aussi bien chez les enseignants que chez les élèves.
Cet entre-deux des usages semble définir un » no man’s land » autour des TIC mais très vite apparaissent un certain nombre de questions que cette posture n’a pas pour autant résolu. Le sens de l’usage des moyens d’information et de communication d’une part et la culture de la technologie d’autres part vont probablement faire l’objet d’un grand nombre d’interrogations dans les années à venir.
2 – L’information communication, vers une éducation aux médias
Contrairement à la télévision, les technologies récentes de l’information et de la communication ont pu bousculer le système éducatif par leur présence simultanée dans le monde du travail et dans le monde du loisir. Ces technologies marquent actuellement la fin des frontières entre espace public et espace privé, entre espace personnel et espace professionnel.
Les enseignants, bien loin de l’image de ringardise technologique que certains
leur avaient collée dans le dos à l’époque de la télévision, ont rapidement
investi, personnellement, cet outil nouveau qu’est l’ordinateur et ses nombreux
développements récents. Cette preuve d’une prise en compte doit être mise en
perspective avec une évolution radicale de la vie sociale sous l’influence d’un
accès renouvelé à l’information et à la communication.
Le développement important des départements universitaires en matière d’information
communication est un indice très significatif de l’importance accordée à ces
questions. Il n’est donc pas étonnant que tous ceux qui avaient œuvré dans
le champs de l’éducation aux médias avec le développement de la télévision aient
trouvé là une prolongation logique de leurs problématiques. Il y a semble-t-il
un consensus assez souple autour de cette évolution. Sans entrer dans le détail
des débats, il faut reconnaître que le discours médiatique sur ces questions
est très flou et relève souvent davantage du débat d’opinion que du travail
scientifique. Cependant des éléments de clarification sont en train d’apparaître
et Yves le Coadic, entre autres, nous invite à ouvrir un nouveau chapitre.
Les documentalistes confrontés, entre autres, aux jeunes qui font les TPE interrogent
la communauté enseignante de façon vive : quelle est notre maturité sur ces
questions ? Quelles sont les compétences nécessaires ? Quelle est notre responsabilité
éducative et citoyenne ? Les réponses fournies au travers les propos officiels
font d’ailleurs la preuve, par leurs hésitations, que cette question est difficile.
Ainsi ne saiy-on pas trop bien comment définir ce que devrait être une éducation
aux médias qui intégrerait véritablement la dimension information communication.
3 – La place de la technologie : culture, outil, discipline
Un autre débat est vivement évoqué actuellement dans les collèges
autour de l’enseignement de la technologie. La mise en place du B2i a réveillé
en partie un grand nombre de questions : voudrait-on vider une discipline de
sa substance ? Qu’appelle-t-on une culture technologique face au développement
des usages ? Faut-il faire de la technologie un espace de curiosité (d’éveil
diraient certains), un espace de culture, un espace de pratique, un espace d’orientation
professionnelle ? Or il y a une discipline a part entière (au sens administratif
du terme).
Parler de culture technologique comme intégrant une culture générale n’est pas
aussi simple qu’il y paraît. L’école qui souhaite assurer un bagage essentiel
à tous les jeunes de la nation doit faire des choix. L’observation des usages
semble montrer que l’on va de plus en plus vers des technologies « transparentes ».
Autrement dit peu importe l’outil du moment que j’ai le résultat. Dès lors faut-il
former à l’outil et à ses fondements théoriques alors que la société n’en demande
que l’usage ?
La question est beaucoup plus fondamentale qu’il n’y paraît et pourrait prendre
des tours politiques et philosophiques si l’on y regarde de plus près. Relisons
Jacques Ellul, Michel de Certeau, Philippe Breton pour nous rendre compte que
derrière ces enseignements des questions essentielles sont posées. Développer
une connaissance des processus techniques à l’œuvre derrière des produits
finis, en milieu scolaire, s’appuie forcément sur une prise de position en matière
de sens et d’usage. Quel être humain formons nous ? Entre l’utilisateur et le
concepteur où plaçons nous le curseur, au nom de quels choix ?
4 – Des perspectives à explorer
Un certain nombre d’entre nous pourraient penser que ce débat nous dépasse. D’autres pourraient dire que leurs préoccupations disciplinaires leur suffisent. D’autres aussi pourraient penser que l’école n’a pas à réfléchir à ses questions.
Les TIC sont désormais présentes dans nos établissements. Le choix qui a été
fait en la matière en appelle d’autres. Chacun essaie d’éclairer le débat et
de trouver une voie. Entre la technologie, l’information, l’informatique il
y a un enjeu beaucoup plus large : nous assistons au développement d’une société
qui a banalisé ces outils : entre le distributeur de billets dans la rue, le
terminal de paiement chez les commerçants ou encore les ordinateurs connectés
à Internet depuis la maison et le téléphone portable les utilisateurs ont fait
leur ordinaire de ces outils, en ignorant, le plus souvent la technologie sous-jacente.
Plus encore que la technologie, c’est sa mise en œuvre qui est spectaculaire.
Les êtres humains qui sont en amont de ces technologies savent les asservir
en vue de buts parfois difficiles à saisir : pourquoi mettre en place une carte
à puce pour la santé ? Pourquoi informatiser toutes les informations policières
? etc.
Ainsi nous utilisons de plus en plus des technologies dont nous entrevoyons de moins en moins les intentions humaines sous-jacentes et les techniques utilisées au service de ces intentions. Il y a là une nécessité d’éducation si l’on ne veut laisser la place à la croyance ou aux extrêmismes. Définir ce cadre d’éducation ne peut se contenter d’une discussion sur des heures hebdomadaires d’enseignement ou sur des programmes d’enseignement, mais il doit aussi se pencher sur la finalité des systèmes, qu’ils soient techniques ou éducatifs.
Bruno Devauchelle
Cepec