L’Assemblée nationale a adopté définitivement le 3 août la loi sur la justice. On le sait, celle-ci crée des centres éducatifs fermés pour les mineurs, instaure des sanctions pour les 10-13 ans et facilite la détention des 13-18 ans. Mais le projet de loi a été durci par deux amendements déposés par la majorité. Un premier amendement punit de 6 mois de prison et de 7500 euros d’amende les outrages adressés à un membre de l’équipe éducative quand il est commis dans un établissement scolaire ou à l’occasion des entrées et sorties des élèves. Un second amendement permet la suspension des allocations familiales quand un mineur est placé en centre de éducatif fermé. Ainsi est crée une « sanction familiale ». Cette nouvelle loi peut faire l’objet de débats autour de la notion de civilité.
Le débat est largement lancé dans la société. Ainsi, la CNCDH souligne l’affaiblissement du pouvoir judiciaire permis par ce texte. D’une part le projet créé, pour les « petits » délits, des « juges de proximité » temporaires qui n’auront ni la compétence, ni l’indépendance que le justiciable est en droit d’attendre d’un état de droit. Dans cette perspective, la CNCDH estime « beaucoup plus contestable encore, l’attribution aux juges de proximité.. d’une compétence pénale à l’égard des mineurs de 13 à 18 ans.. Elle estime grave et injustifiée cette remise en cause d’un principe essentiel de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, celui de la spécialisation de la justice des mineurs, principe qu’a ultérieurement consacré la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France ». D’autre part le projet de loi facilite et allonge la détention provisoire. Il renforce le rôle du procureur de la République en rendant son appel suspensif de la remise en liberté d’un détenu. Il étend la comparution immédiate à de nombreuses infractions, ce qui n’est pas une garantie de bonne justice. S’agissant des mineurs, le projet de loi crée des « centres éducatifs fermés » pour les mineurs dès l’âge de 13 ans, des « sanctions éducatives » dès l’âge de 10 ans et donne la possibilité au procureur de traduire devant le tribunal dans un court délai (moins d’un mois) certains mineurs. Or on voit mal comment la privation de liberté pourrait permettre l’insertion et l’éducation de ces jeunes. Ainsi la FCPE, Amnesty, la Ligue des Droits de l’Homme, le MRAP, plusieurs syndicats d’enseignants et de nombreuses autres organisations, soulignent que « Dans ce dispositif, la prise en charge éducative n’a plus de place et sa légitimité est profondément attaquée.. C’est l’enfance qui est niée à travers la pénalisation dès l’âge de 10 ans. C’est l’ensemble des enfants, susceptibles un jour ou l’autre d’un écart de comportement, qui pourront être sanctionnés. Mais c’est aussi la jeunesse issue des couches sociales les plus défavorisées et de l’immigration qui sera la première victime de ce projet ».
La Confédération syndicale des familles dénonce « des mesures (qui) conduisent à une criminalisation des familles ». Des réactions similaires se font entendre du coté des syndicats enseignants. L’UNSA-Education dénonce « une vision étriquée du problème tendant à faire penser que la violence n’est pas un phénomène social mais un problème individuel ». La FSU parle » d’effet d’affichage » disproportionné. Pour François Dubet, sociologue spécialiste de la violence scolaire, interrogé par Le Monde du 6 août, la menace d’emprisonnement « ne changera pas grand-chose au comportement des élèves (ou des parents) et mettra les profs dans l’embarras. Si l’une de leurs plaintes conduit un gosse de 13 ans en prison, comment croyez-vous qu’ils réagiront ? Criminaliser les gamins des quartiers et judiciariser l’espace scolaire ne sont pas des solutions. Aujourd’hui, on ne règle plus les conflits au sein de la communauté pédagogique, on appelle le procureur. Si l’on s’engage davantage sur cette voie, les profs devront bientôt gérer, en plus de leurs propres plaintes, les accusations des parents ».
Dans le même quotidien, Jean-Marie Colombani dénonce la « lepénisation de nos lois » : « Toute notre philosophie du droit et de la justice est ébranlée en son socle, à la fois d’inspiration démocratique, de philosophie libérale et d’ambition humaniste. Si l’enfant faute, c’est donc que la famille est coupable : plus d’excuse sociale, plus de contexte économique, plus d’environnement culturel. L’enfant criminel est l’enfant mal éduqué. La société, l’histoire, l’inégalité, les héritages, etc., n’y ont aucune part : c’est la faute aux parents… Quant au rapport pédagogique, il tombe sous le sens – le bon sens – que c’est un rapport à l’ordre et à la loi : non pas une relation d’éducation et de formation, mais le même type de contrat que celui qu’entretient le justiciable avec les gardiens de l’ordre en uniforme, policiers ou gendarmes. Politique familiale, droits de la défense, relation pédagogique : en trois dispositions, c’est toute une nouvelle philosophie sociale qui s’affiche
Au lieu de combattre le Front national, on donne droit de cité à ses idées. De la « lepénisation des esprits », dénoncée par Robert Badinter, nous voilà passés à la lepénisation de nos lois ».
http://www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/programmation-justice.asp
http://www.justice.gouv.fr/presse/loiprogsomm.htm
http://www.commission-droits-homme.fr/binTravaux/AffichageAvis.cfm?IDAVIS=670&iClasse=1
http://www.fcpe.asso.fr/article.aspx?id=145
http://actu.voila.fr/Depeche/depeche_emploi_020807145408.oz4dxnvq.html
http://www.letelegramme.com/index.cfm?page=telegdisplay&class=articletelegramme&method=affiche_entier&object=20020806_010b070400_4808706
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3224–286694-,00.html
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,3232–286723-,00.html
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