Au temps où la société IBM dominait le marché de l’informatique de façon écrasante, l’un de ses dirigeants avait résumé la différence entre IBM et les autres entreprises par cette formule : » les entreprises ordinaires cherchent à prendre de bonnes décisions ; chez IBM, nous prenons des décisions et puis nous les rendons bonnes… « .
Une telle déclaration peut être prise de deux façons. Comme une extraordinaire arrogance : la société IBM se sent si puissante qu’elle se croit capable de faire tourner n’importe laquelle de ses décisions à son avantage, c’est-à-dire de ne jamais échouer. Ou bien comme une simple leçon de pragmatisme qui vaudrait pour tout le monde : le succès d’un projet tient moins à sa qualité propre de départ qu’à l’énergie et à l’intelligence dépensées pour le faire réussir.
Depuis plusieurs années, on expérimente, en France et dans d’autres pays, des dispositifs dits de » cartables électroniques » consistant à équiper tous les enseignants et tous les élèves d’une classe, d’un établissement, d’une ville ou d’une région en ordinateurs portables. Le ratio » élèves par ordinateur » qui permet de mesurer le niveau des équipements informatiques dans les établissements scolaires, atteint d’un coup la valeur idéale de 1, comblant ainsi la fracture numérique dont on dit qu’elle serait un frein à la généralisation de l’usage des TIC dans l’éducation.
Parmi les initiatives récentes et de grande ampleur qui vont dans ce sens, on parle beaucoup de celle de l’Etat du Maine ( http://www.state.me.us/mlte/ ) aux Etats-Unis qui touche 18 000 élèves, de celle du Département des Landes ( http://www.landesinteractives.net ) qui en concerne plus de 4 000 et d’un nouveau projet qui se prépare dans les Bouches du Rhône ( http://www.cg13.fr/ )pour la rentrée prochaine et qui dotera 56 000 élèves de 4e et de 3e d’un ordinateur portable personnel.
Ces initiatives sont prises par des collectivités territoriales dans le cadre de leur politique éducative. Sont-elles de bonnes décisions ? Ceux qui les prennent ont-ils l’arrogance qu’avaient les dirigeants d’IBM dans les années 70 ? Ou bien sauront-ils faire preuve du pragmatisme qui leur permettra de rendre bonnes les décisions qu’ils prennent aujourd’hui ?
Essayons de considérer ces projets de cartable électronique avec lucidité, sans esprit partisan et sans chercher à trancher trop vite la question de savoir s’ils sont ou non de bons projets. Leur succès dépend beaucoup de la capacité de leurs initiateurs à les mettre en œuvre. Mais il dépend aussi du comportement de leurs partenaires obligés : les familles, les élèves, les enseignants, les chefs d’établissement, les autorités académiques. On se doute que les familles et les élèves accueilleront toujours favorablement des projets dont ils sont les bénéficiaires directs. C’est moins évident pour les autres partenaires. L’informatique peut être perçue par certains enseignants comme une intruse qui les force à faire évoluer leurs pratiques pédagogiques dans un sens qui ne leur convient pas. Les autorités académiques peuvent estimer que ces projets ayant un impact fort sur le plan pédagogique ne doivent pas être décidés ni pilotés par les politiques locaux. Les difficultés sont de ce côté. Les expériences en cours montrent que, dans certains cas, elles sont surmontées, dans d’autres non. C’est donc bien dans la capacité des collectivités porteuses de projets à emporter l’adhésion de leurs partenaires de l’éducation, dans l’énergie, l’intelligence et l’acharnement qu’elles y mettront que se jouera la réussite des projets de cartable électronique.
Comme les décisions que prenait jadis IBM, celle consistant à équiper systématiquement des groupes d’élèves avec des ordinateurs portables n’est en elle-même ni bonne ni mauvaise. On peut cependant affirmer sans prendre trop de risque, qu’elle appartient à la catégorie des décisions qu’il n’est pas facile de rendre bonnes…
Serge Pouts-Lajus
O.T.E.
