Catherine Salles a publié au printemps dernier, chez Tallandier, un ouvrage sur la mythologie, intitulé Quand les dieux parlaient aux hommes. Comme le titre l’indique, il ne s’agit pas, pour une fois, d’un dictionnaire, mais bien d’une étude qui, en introduction notamment, pose (ou repose) des questions aussi fondamentales que « Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes? ».
Marie Fontana-Viala : Vous évoquez en introduction les critiques récurrentes de penseurs à l’égard de la mythologie. Ce conflit entre mythologie et philosophie est-il linéaire ou bien assiste-t-on à une succession de périodes calmes et de périodes troublées?
Catherine Salles : Des penseurs de toutes époques se sont penchés sur la mythologie gréco-latine pour y trouver un sens plus profond, mais c’est essentiellement à la fin du XIXème et au XXème siècles que l’on va s’intéresser à la mythologie en tant qu’image de la condition humaine. Sans doute Freud a-t-il joué un rôle très important dans ce domaine: avec son fameux complexe d’Oedipe, il donne une nouvelle lecture d’un mythe bien connu et initie une nouvelle manière de considérer le mythe, au-delà de la « petite histoire ».
M. F.-V. : Quelle est la situation aujourd’hui? La mythologie vous semble-t-elle être à un moment important de son histoire?
C.S. : Oui, sans doute, dans le domaine de la compréhension des civilisations et de leurs structures: toutes les recherches modernes, en particulier l’Ecole de Paris menée par Vernant et Vidal-Naquet, essaient de montrer de quelle manière les mythes reflètent une structure sociale, une évolution d’ordre historique.
M. F.-V. : Et qu’en est-il du grand public? Il est frappant de voir, notamment, l’attirance des élèves de collège pour les récits mythologiques… Diriez-vous que la mythologie est à la mode?
C.S. : La mythologie a toujours été à la mode! Les enfants, en particulier, s’y sont toujours intéressés, même s’ils vont rarement chercher au-delà du simple récit. Il existe d’ailleurs d’excellents ouvrages de mythologie destinés à des enfants de tout âge.
Avec une figure comme Hercule-Héraclès, ils ont un personnage constamment à la poursuite des ennemis et autres démons, qui n’a rien à envier à des héros du cinéma actuel.
M. F.-V. : On est souvent frappé par la dimension extrêmement violente de nombreux mythes. Comment le mythe, qui est une forme de repère, s’accomode-t-il de cette anormalité?
C.S. : Oui, on peut évoquer Médée tuant ses enfants, Clytemnestre tuant son mari: les relations violentes sont effectivement très fréquentes dans la mythologie, notamment dans le domaine amoureux. C’est surtout valable pour la tragédie grecque, qui apporte un nouveau regard sur le mythe en s’intéressant à la psychologie des personnages, ce que l’on ne trouve à peu près pas chez Homère. Les relations entre hommes et femmes, ou hommes et jeunes garçons, sont placées sous le signe du conflit. Je pense qu’il était nécessaire pour les Anciens de situer des situations anormales, mais auxquelles ils pouvaient se trouver confrontés, dans l’univers des dieux et des héros. Un certain nombre de légendes font ainsi apparaître un héros qui réduit les « anormalités » du monde environnant: voyez l’épisode des douze travaux d’Hercule, ou celui d’Oreste jugé sur l’Aréopage, qui marque le début de la justice des hommes.
M. F.-V. : Si l’on regarde votre bibliographie, on remarque, à côté de très nombreux ouvrages portant sur l’Antiquité, qui est votre discipline d’enseignement, des travaux renvoyant à d’autres époques, par exemple au XVIIIème siècle… Pouvez-vous nous expliquer cela et nous rappeler quel fut votre parcours?
C.S. : Je suis une historienne contrariée! Après une hypokhâgne au lycée Pasteur de Neuilly, puis une khâgne au lycée Janson-de-Sailly à Paris, j’ai obtenu une Licence de Lettres Classiques et préparé un « diplôme » (l’actuelle maîtrise) sur Flaubert. Après avoir passé l’Agrégation de Lettres Classiques, j’ai enseigné durant quatre ans dans un lycée du Mans: ce fut l’apprentissage du métier, sur le tas, car il n’y avait pas de stage à l’époque. Je fus nommée à l’Université de Nanterre en … 1968 (en octobre) et j’y suis restée. Les générations d’étudiants se succèdent sans se ressembler: après les élèves très présents et entreprenants de 68, nous avons connu la « bof génération » assez indifférente à la vie de l’université et aux matières enseignées. Avec la montée du chômage, les étudiants se montrèrent à nouveau plus concernés. Aujourd’hui, en Lettres Classiques surtout, nous connaissons une période de crise.
Pour en revenir à l’histoire, certaines périodes m’ont passionnée et attirée à elles à travers les textes littéraires; j’ai commencé par aborder le XVIIIème siècle grâce aux textes des philosophes. Je suis également très intéressée par la seconde moitié du XIXème siècle car nous avons des témoignages romanesques extraordinaires. C’est donc la littérature qui m’a menée à l’histoire!
Catherine Salles, Quand les dieux parlaient aux hommes – Introduction aux mythologies grecque et romaine Tallandier 2003 / 25 Euros / 563 pages.
Vous pouvez consulter une critique du dernier ouvrage de Catherine Salles par Yann Le Bohec à l’adresse suivante:
http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid=4&ida=3520