– La mutation des métiers de l’éducation et de la formation
Effondrement de l’alliance stratégique entre les parents et les maîtres
Au départ, l’école de Jules Ferry s’est construite sur l’opposition des parents et des maîtres puisque qu’il fallait alors libérer les enfants de leurs parents. Pour Jules Ferry, l’opposition entre l’école et la famille, c’est l’État contre le local et l’intérêt particulier, c’est l’égalité contre l’héritage des privilèges, c’est la raison contre la superstition. Cette opposition idéologique entre la famille et l’école a, en fait, caché une très grande convergence stratégique : si les parents et l’école étaient en guerre idéologiquement pour exercer la tutelle sur les enfants, stratégiquement, ils construisaient ensemble un système d’assujettissement à l’autorité de l’adulte qui faisait que, quand l’enfant arrivait à l’école, un certain nombre de choses étaient intériorisées dans l’univers familial et lui permettaient ainsi de faire correctement son métier d’élève. Ma mère m’avait savamment expliqué comment à l’école, il fallait que je regarde la maîtresse : assez longtemps pour ne pas paraître hypocrite, mais pas trop longtemps pour ne pas paraître insolent. Il y avait une manière de poser ses yeux qui était particulièrement efficace pour être un bon élève. Nous sommes aujourd’hui dans un univers où les connaissances scolaires, qui étaient construites sur une espèce de socle assuré familialement, ont beaucoup plus de mal à se transmettre parce que ce socle familial, constitué d’un ensemble d’attitudes acquises, est nettement moins stabilisé.
Le triomphe du conflit d’opinions
Aujourd’hui à l’école, nous ne sommes plus dans un lieu où c’est la vérité qui arbitre, mais où le conflit d’opinions règne. Le maître a son opinion, l’élève a son opinion : on va voir qui va faire triompher son opinion sur l’autre et pour combien de temps. Or, si nous relisons certains textes fondateurs, comme par exemple celui qui a instauré » la leçon de choses « , nous voyons que si l’instituteur amène sur sa table un faisan empaillé ou une balance à poids, cela n’est pas d’abord pour attirer l’intérêt de l’élève, c’est pour dire à l’élève : « Ce que je vous dis, ne le croyez pas sur parole, vérifiez à l’avenir ce que je vous dis avec ce que je vous apporte « . La leçon de choses était déjà un moyen de sortir du conflit d’opinions.
L’arrivée de l’enfant-bolide
Dans nos classes, nous avons des élèves qui n’ont jamais été aussi exaspérés au plan psychologique : ils arrivent avec un univers intérieur chaotique, avec des préoccupations qu’ils ne peuvent pas porter comme, par exemple, des situations familiales impossibles. Et dans cette situation sur-affectivée, les classes n’ont jamais été aussi vides d’objets capables de venir quelque peu lester les relations affectives. Francis IMBERT parle de l’arrivée des « enfants bolides » qui, dans la classe, se lèvent, se mettent à crier ou s’ils ne sont pas contents, s’en vont. On peut légitimement se demander si les enseignants sont outillés pour faire face à de telles situations. N’envoie-t-on pas là au fin fond de la brousse, des enseignants sans stéthoscope, ni aspirine en leur ayant donné le mode d’emploi d’un scanner dont ils ne pourront sans doute jamais se servir, avec tous les manuels de didactique qu’ils auront ingérés, sans forcément les digérer ?