Par Monique Royer
Quelle place pour le diplôme dans notre société ? Qu’en attendent les entreprises ? Quel est le sens de la qualification pour les différents acteurs du monde du travail et de l’éducation ? La « baisse de niveau , la « crise de l’école » dénoncées par les conservateurs correspondent elles à une réalité constatée par les chercheurs, économistes ou sociologues ?
Le Cereq (Centre d’Etudes et de Recherche sur les Qualifications) organisait le 11 octobre sa première biennale Formation Emploi Travail à l’Institut du Monde Arabe. Le thème retenu « les chemins vers l’emploi et la formation », a offert un terrain de rencontres entre l’univers de l’éducation, universités en tête, et le monde professionnel. Les échanges parfois aigus ont révélé la nécessité d’un débat autour des diplômes, de leur signification pour les différents acteurs ; en bref, une réflexion profonde sur les notions de qualification et de professionnalisation.
En introduction des trois tables rondes, «les tendances d’évolution de la relation formation emploi dans l’industrie, la construction et les services », « la professionnalisation des études » et « cheminements et formation en début de vie active », les chercheurs du Cereq ont présenté les résultats de leurs études afin d’alimenter les débats.
La qualification, une norme commune à recréer
On constate un glissement de la norme de qualification vers plus de diplômes et ce, quelque soit le type d’emploi (qualifié, non qualifié, cadre et intermédiaire) avec un effet plus ou moins prononcé selon le secteur. Les emplois sont alimentés par des diplômes de plus en plus élevés sans que l’on puisse clairement en hiérarchiser les causes. Métamorphose de la société vers une société de la connaissance ou fuite en avant de la qualification, évolution du travail et des organisations ou abondance de diplômés sur le marché du travail? Pour, Michel Quéré, directeur du Cereq, la distinction vaut d’être posée pour mieux comprendre l’évolution de la relation formation emploi.
Le point central du lien entre école et entreprise, la qualification, s’émousse sur des divergences d’interprétation. Parle t’on de la qualification de l’individu en référence au diplôme, ou de la qualification du poste, de l’emploi en se basant sur la grille de classification mise en œuvre dans les branches professionnelles par les partenaires sociaux. La relation qualification/diplôme demande à être clarifiée, souligne André Gauron, de la Cour des Comptes. Les représentants des trois branches, bâtiment, industrie de la métallurgie et commerces de détail rejettent quant à eux le terme d’ouvriers et d’employés non qualifiés pour des actifs n’ayant pas de diplôme. Tout travail correspond à un minimum de qualification et requiert des compétences. La non qualification n’a aucun sens dans la réalité de l’entreprise.
Pour Stéphanie Lagalle-Barnes de la fédération du commerce de détail, la montée en qualification des emplois correspond à l’évolution des besoins en compétences. En recrutant des jeunes surdiplômés par rapport au poste, l’entreprise se garantit d’un niveau minimum de compétences. François Michelin, représentant de la branche du bâtiment, souligne que les besoins en emplois et en qualifications sont forts dans son secteur, besoins liés à la construction de logements et aux exigences du développement durable, des économies d’énergie, de la sécurité. Pour Henri de Navacelle, de l’Union des industries métallurgiques et minières, la compétition mondiale exige des professionnels de plus en plus compétents, adaptables et mobiles. La formation doit répondre à une problématique d’orientation dès la formation initiale en prenant en compte les besoins des entreprises. La répartition des rôles entre l’école et les entreprises mérite d’être clarifiée, en particulier dans l’articulation entre formation initiale et professionnalisation, le socle commun et la spécialisation. Il préconise une révolution de l’offre de formation bâtie sur une régionalisation de la formation initiale professionnelle (au même titre que la formation continue) et une évolution vers des parcours individualisés, tracés et évalués en amont par des positionnements, voire une prise en compte de l’expérience acquise lors de stages ou d’emplois estivaux.
Le diplôme, une clé pour l’insertion
L’effet diplôme ressort de l’analyse des trajectoires sur une longue durée. Premiers éléments de l’étude : un niveau égal au bac limite les risques de chômage mais pour avoir des gains de salaire, il faut aller au delà. Pour les diplômes de bas niveau, on observe un effet de filière avec une insertion plus élevée des jeunes issus de formations du secteur industriel. Les diplômes du supérieur ont un positionnement fort : après 7 ans de vie active, 86% des diplômés du supérieur sont en contrat à durée indéterminée. Plus le taux de formation initiale est élevée, plus on a de chance d’accéder à un grade élevé. De même, les salariés peu diplômés sont beaucoup plus soumis à la mobilité, au changement d’employeur.
En 1998, 120 000 jeunes étaient sortis du système scolaire sans diplôme. Leur difficulté d’insertion diffèrent selon le niveau à la sortie du système, tous ne sont pas au bord du chemin. Près de 50% n’ont pas d’activité stable ou une faible participation au marché du travail. Pour la plupart, l’expérimentation du marché du travail ne les a pas convertis à la nécessité d’acquérir un diplôme par la voie de la formation continue. Cette conviction est d’autant plus faible que les souvenirs liés à la scolarité sont négatifs. la qualification.
Dernière donnée à prendre en compte : en début de vie active, 40% seulement des emplois correspondent au domaine de formation. Le jeu des réseaux, la rencontre de professionnels lors de stages, d’emplois de vacances, la localisation peuvent être tout aussi déterminant dans le choix du premier emploi.
Bousculé lors du débat, le diplôme demeure une référence encore importante pour les employeurs, il joue son effet de signal. On relève même dans le secteur tertiaire, une préférence nette pour les diplômes d’enseignement général au détriment des diplômes techniques. Pour François Michelin, il faudrait analyser le contenu des métiers pour comparer avec les diplômes et déboucher sur une nomenclature plus adéquate. L’entreprise Véolia, quant à elle, a fait le choix d’une collaboration forte avec l’Education Nationale et les Universités en privilégiant les diplômes par rapport à des certifications de branche.
Les licences professionnelles pourraient constituer un nouveau modèle de relation entre école et entreprises. Dans le processus de création, le monde professionnel s’implique à travers la commission nationale d’expertise., les professionnels interviennent également au cours de la formation. Le cadre réglementaire est assez souple pour favoriser les initiatives locales. Une enquête menée auprès de jeunes sortis de licences professionnelles en 2001 montre une meilleure stabilisation professionnelle par rapport à des diplômés de licence générales et une rémunération un peu plus élevée en début de carrière. La représentante de Véolia, Françoise Sirot, a souligné la nécessité du dialogue pour mieux se comprendre et faire travailler ensemble deux univers parfois éloignés.
A travers les diversités d’interprétation de la notion de qualification, flottent les attentes divergentes vis à vis du diplôme. L’école peut elle former des professionnels directement opérationnels ? Au delà de la réactivité du système, qui supposerait des instruments de prospective fiables et un budget approprié aux changements de programmes, de techniques, la question de l’adéquation formation emploi mérite plus que des réponses immédiates dans un contexte de marché du travail tendu. Elle demande que soient définies les compétences du salarié de demain, que soient creusées les notions de faculté d’adaptation ou encore de mobilité. Elle réclame aussi la multiplication de passerelles, écoles de la deuxième chance, validation des acquis de l’expérience, par exemple, pour que la sortie sans diplôme du système scolaire ne soit en aucun cas définitive.
Pour une première biennale, le Cereq a réussi un coup de maître. Par l’émergence des questions vives sur la relation emploi formation, il a montré toute la nécessité d’un dialogue entre la sphère éducative et le monde professionnel.