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RD – Anne Armand, vous êtes Inspectrice Générale de lettres, et de longue date impliquée dans la promotion des langues anciennes pour tous. Anne Armand – Je m’étonne que mes propos semblent de mauvais augure. Est-ce parce que je parle sans fard de nos effectifs faibles ? A quoi servirait-il de nous voiler la face ? RD – Une ligne de fracture traverse actuellement l’enseignement des langues anciennes, opposant d’un côté les tenants de la langue, de l’autre ceux de la civilisation. Cette formulation est bien sûr réductrice, mais claire. Que pensez-vous de cette fracture, et quelle voie préconisez-vous pour votre part ? Anne Armand – Je pense que les nouveaux programmes ont clairement défini les apprentissages de lexique, de morphologie et de syntaxe qui permettent d’étudier le latin et le grec au collège et au lycée. Si fracture il y a, elle n’est pas entre les tenants de la langue et ceux de la civilisation, mais entre ceux qui voudraient continuer comme avant (on apprend d’abord la langue, on verra ensuite des textes) et ceux qui pensent pouvoir mener les deux de front. Notre obligation de réflexion tient aux chiffres des effectifs : quand on perd plus de 60 % des effectifs entre la cinquième et la troisième, c’est que l’enseignement ne convient pas aux élèves, ne les intéresse pas, au profit d’autres qui les intéressent plus. Je ne crois pas qu’un élève d’aujourd’hui s’intéresse à des apprentissages purement linguistiques. D’un autre côté, je ne crois pas non plus qu’on puisse l’intéresser longtemps avec des exposés sur des questions de civilisation. Mais plutôt que de répéter ce qui a déjà été écrit, je préfère renvoyer aux documents d’accompagnement des programmes, qui prennent le temps d’exposer ce point de vue. RD – Certains pensent aujourd’hui que la filière de lettres telle qu’elle a vécu, à son apogée, n’est pas transposable dans notre monde moderne, sans être profondément réformée. On peut opposer deux tendances, l’une qui s’appuierait sur l’histoire et la philosophie, l’autre sur la littérature et la langue. Quelle est votre sentiment sur cette délicate question ? Anne Armand – J’ai participé aux travaux de réflexion du groupe lycée, chargé l’an dernier de réfléchir au lycée de demain. J’ai proposé dans ce groupe une restructuration de la voie littéraire autour de l’histoire, du droit, et des lettres. Aujourd’hui il semble qu’une autre voix se fasse entendre, qui pense à une restructuration autour de la philosophie et de l’histoire. Vous vous doutez que je ne peux adhérer à un effacement de la littérature (française et antique) dans cette filière. Je ne vois d’ailleurs pas comment cela pourrait se faire. RD – La révolution pédagogique qui a suivi mai 1968 avait pour ambition d’offrir la culture pour tous ; elle a écarté durablement les langues anciennes. N’avez-vous pas le sentiment que l’Éducation Nationale est à cet égard passé à côté de quelque chose de grand, au moment même où elle pouvait toucher au but ? J’entends par là que très longtemps, depuis les débuts de la scolastique, la pratique du latin et du grec a été la marque de l’élitisme. A la fin des années 60, on aurait pu rêver des enfants d’une nation toute entière étudiant le grec et le latin. C’était possible, il suffisait de rendre le latin et le grec obligatoire pour tous. Un tel phénomène n’aurait pas été vu depuis l’effondrement de l’Empire Romain, et plus généralement du monde antique. Beaucoup de professeurs de lettres classiques évoquent avec un douleureux sentiment de regret cette occasion manquée. L’actuel gouvernement se réclame d’un nouvel humanisme. Ne pensez-vous pas qu’un humanisme nouveau ne saurait faire son deuil des humanités ? Anne Armand – Je ne vois pas comment le gouvernement actuel, à travers ses ministres de l’Éducation qui sont philosophe pour l’un et littéraire pour l’autre (sans compter sur le nouveau Doyen de l’Inspection Générale, qui est historien), songerait à faire le deuil des humanités ! J’ai déjà parlé du groupe René Rémond, dit « Groupe humanités », créé justement par le ministre. RD – Merci à vous, Anne Armand, d’avoir choisi de répondre à ces questions pour le Café pédagogique. |
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