La chronique de V. Soulé : Vous avez dit inégalités sociales à l’école ?
On pourrait discuter des heures durant de l’intérêt du latin pour connaître l’étymologie des mots, du grec pour l’art de débattre, de l’allemand pour l’amitié franco-allemande… Mais on pourrait aussi discuter d’une école qui ne donne pas les mêmes chances à tous, qui favorise les plus favorisés et qui laisse chaque année 140 000 jeunes au bord de la route. Le problème est que ça risque de ne pas intéresser autant de monde.
On a tout dit et tout entendu, ou presque, à propos de la réforme du collège que la ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem veut mettre en œuvre en 2016, des pires bêtises, souvent proférées de mauvaise foi, aux arguments les plus affûtés, exprimant une sincère inquiétude. On en est aujourd’hui à compter le nombre de divisions de part et d’autre, avec concours de pétitions, lettres ouvertes, tribunes, confs de presse… En plus la politique s’en mêle, avec comme chaque fois que l’on débat du «collège unique» des alliances trans-partisanes.
Inutile de rajouter à la cacophonie ambiante. En plus, l’enjeu de la réforme dépasse, et de loin, les arguties sur le fait de savoir s’il vaut mieux commencer l’allemand en sixième qu’en cinquième ou encore faire deux langues plutôt qu’une – ce qui ne fait pas un pli mais qui demande des moyens si l’on veut en faire bénéficier tous les élèves, et non quelques-uns…
Pourquoi tant de passions ?
Je voudrais plutôt exprimer un étonnement : pourquoi tant de passions pour ces sujets – j’ai oublié les programmes d’histoire … -, alors qu’il y a des constats bien plus inquiétants autour de l’école et qu’ils ne suscitent pas grand bruit ?
Cette semaine devrait encore nous les rappeler. L’inspecteur général de l’Education nationale Jean-Paul Delahaye, chargé d’une mission sur «Grande pauvreté et réussite scolaire», rend son rapport ce lundi 11 mai. Et mardi 12 mai, le Conseil économique, social et environnemental (le CESE) publie un avis sur «L’école de la réussite pour tous», dont la vice-présidente d’ATD Quart Monde (1) Marie-Aleth Grard est la rapporteure. Les deux thèmes étant proches, une vingtaine de recommandations sont communes. Pour le reste, le CESE se centre davantage sur la pédagogie, Jean-Paul Delahaye sur les conditions sociales.
Voici donc, au hasard, quelques constats qui pourraient faire débat.
A la rentrée 2014, on a compté 15,8% de fils d’ouvriers qui arrivaient avec du retard au collège alors qu’ils n’étaient que 3,4% de fils de cadres. A moins de considérer que les premiers sont nettement moins intelligents que les seconds, c’est choquant.
Les choses ne s’arrangent guère avec le collège - que l’on veut justement réformer. Toujours à la rentrée 2014, les fils d’ouvriers étaient 28,2% à avoir du retard à leur entrée en troisième contre 10,2% des fils de cadres. Si l’on prend les enfants d’inactifs, on atteint 41% pour les garçons et 35% pour les filles. Et ça ne vous interpelle pas ?
Dans la même veine, le ministère de l’Education estime que parmi les «décrocheurs» qui sortent sans diplôme du système scolaire et qui risquent d’être voués, ensuite, à la précarité, 34% ont un père ouvrier, 31% un père employé et moins de 10% un père cadre supérieur ou ayant une profession libérale. Ca ne vous interpelle pas ?
L’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement en Europe) a été l’une des premières à tirer la sonnette d’alarme : la France est, parmi les pays développés, celui où l’origine socio-économique pèse le plus dans la réussite des élèves.
Si l’on prend la dernière étude Pisa (tests sur des élèves de 15 ans, ndlr) de 2012, 22,5% de la différence de performance des élèves en maths s’explique par leur milieu socio-économique contre 15% en moyenne dans l’OCDE. Parmi les 65 pays et économies qui ont participé à l’étude, seuls 7 dépassent les 20% : outre la France, la Bulgarie, le Chili, la Hongrie, le Pérou, la Slovaquie, et l’Uruguay.
En France, toujours selon Pisa 2012, la différence de score en maths entre les élèves, selon qu’ils sont de milieu favorisé ou pas, est de 57 points contre 39 points en moyenne dans l’OCDE. C’est la plus grande différence de tous les pays de l’OCDE.
Pourtant il n’y a plus grand-chose à démontrer...
Last but not least, la même étude montre qu’en France, les jeunes issus de l’immigration sont au moins deux fois plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté que les autres.
Dernière statistique qui pourrait faire réfléchir : une note de la DEPP, la direction statistique du ministère, diffusée en février dernier, nous révèle que les enfants de milieu défavorisé forment l’écrasante majorité des élèves chez qui on a détecté des troubles intellectuels ou cognitifs et qui ont été orientés dans des filières spécialisées : ils atteignent 60% contre seulement 6% d’enfants de milieu très favorisé. Vous en avez entendu parler ?
On pourrait continuer longtemps. La plupart des recherches en éducation portent sur la question des inégalités. Et il n’y a plus grand-chose à démontrer. Le 6 mai dernier, lors d’une table ronde à Sciences Po Paris, à l’occasion de la Journée sur les politiques de la jeunesse, le sociologue François Dubet – par ailleurs défenseur affiché de la réforme du collège et bête noire des antis – a commencé par un constat désabusé : «je ne vais pas dire de choses originales, cela fait 30 ans que l’on a lancé des recherches sur les inégalités à l’école…» Mais gardons le moral.
Véronique Soulé
(1) L’auteure de cette chronique est responsable du mensuel d’ATD Quart Monde.
Par fjarraud , le lundi 11 mai 2015.